Les Pieds dans la boue : Terre sauvage
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Les Pieds dans la boue : Terre sauvage

Si vous avez lu Noeuds et Dénouements, vous faites sûrement partie des fervents admirateurs d’Annie Proulx, de ses héros inoubliables, de son attachementpour ceux et celles qui travaillent de leurs mains pour gagner leur vie, de ses conceptions de l’écriture romanesque, où le pathos, les épanchements, le mélo n’ont pas leur place.

Si vous avez lu Noeuds et Dénouements, vous faites sûrement partie des fervents admirateurs d’Annie Proulx, de ses héros inoubliables, de son attachement

pour ceux et celles qui travaillent de leurs mains pour gagner leur vie, de ses conceptions de l’écriture romanesque, où le pathos, les épanchements, le mélo n’ont pas leur place. Dans les romans de l’auteure de Cartes postales, on va droit à l’essentiel: la nature,

les paysages, les conditions climatiques qui forgent les caractères d’une génération à l’autre, la survie, le combat pour durer.

Chacune des 11 nouvelles qui composent Les Pieds dans la boue (Close Range, en anglais), le dernier de ses livres à paraître en français, est en soi une illustration de sa façon de voir et de faire. Cette fois-ci, l’auteure a choisi le Wyoming comme terre d’accueil. Dans cet État dessinant un carré bien net encadré par le Montana, le Dakota, l’Idaho, l’Utah, le Colorado et le Nebraska, et traversé par les montagnes Rocheuses, les personnages qu’elle met en scène vivent sur des ranchs ravagés par la sécheresse, des vies de détresse et d’immense solitude, mais aussi de passions torrides et parfois meurtrières.

Comme dans Brokeback Mountain, une nouvelle d’une finesse et d’un érotisme à couper le souffle, où deux cow-boys mariés et pères de famille vivent dans le plus grand secret une passion dévorante; comme dans Les Pieds dans la boue, où un jeune garçon découvre

simultanément l’extase et le danger en chevauchant des taureaux dans les rodéos; comme dans L’Orée herbeuse du monde, où une jeune fille dont personne ne veut se meurt de solitude dans le ranch de ses parents, parle aux tracteurs, écoute les conversations téléphoniques d’inconnus, et rêve d’une autre vie en regardant les photographies de sa soeur, partie au loin, et devenue bodybuilder.

On a vraiment les pieds dans la boue, dans ces histoires sans âge traversées des cris nocturnes des coyotes et jonchées de cadavres de bêtes; dans ces vies au plus près de la nature où les gens s’acharnent pour ne pas quitter à tout jamais leurs rêves de

l’Ouest, et ce véritable champ de bataille qu’est devenu "ce pays dévasté qui appartenait au peuple". L’aventure est fascinante, totalement dépaysante. Et pourtant, on referme le livre avec un étrange malaise. Ce n’est pas que la traduction ne soit pas honnête et

de qualité, que le génie d’Annie Proulx pour la métaphore, pour les descriptions des paysages arides et coupants du Wyoming, ne soit pas formidablement rendus. Mais quand l’auteure laisse parler ses personnages, la traduction ne colle tout simplement pas. La langue parlée, dure et crue, de ces ranchers, ces éleveurs de chevaux, ces cow-boys et champions de rodéo sans le sou, telle que rendue par la traduction pourtant pleine de bonne volonté d’Anne Damour, est aussi bizarre que le serait un film de kung-fu doublé en joual. On ne relancera pas le débat ici, mais suggérons seulement l’idée qu’une traduction nord-américaine aurait peut-être eu beaucoup plus de chances de capter l’essence de ce recueil.

Éd. Rivages, 2001, 296 p.

Les Pieds dans la boue
Les Pieds dans la boue
Annie E. Proulx