L'Oiseau des ténèbres : Noir comme l'enfer
Livres

L’Oiseau des ténèbres : Noir comme l’enfer

Si Michael Connelly a déçu ses admirateurs avec ses derniers livres, L’Oiseau des ténèbres les réconciliera. On y retrouve Harry Bosh, l’inspecteur fétiche du romancier américain, et la qualité du Poète, un de ses meilleurs crus. La toile de fond: l’histoire de l’art, qui recèle autant de trésors que d’horreurs…

Pour ses fans, de plus en plus nombreux depuis le succès du Poète, chaque nouveau polar signé Michael Connelly est une occasion de se réjouir. Mais quand,

en plus, il nous ramène Harry Bosh, son inspecteur fétiche qu’il lui arrive parfois de délaisser, c’est un véritable petit événement. Car depuis Les Égouts de Los Angeles (prix Calibre 38, 1993), ce héros aux amours malheureuses, aussi attachant qu’imparfait,

bougon, impulsif, parfois même agressif, cet homme de terrain allergique aux bureaucrates et aux petits arrivistes, nous est devenu aussi familier qu’un vieil ami.

Après L’Envol des anges, Harry Bosh est donc de retour, dans un Connelly du meilleur cru. Un polar où il mène de front deux enquêtes bien distinctes pour finir, façon Connelly, par les entrecroiser avec brio.

Dans le coin droit, on retrouve Harry Bosh, occupé à témoigner, à L. A., au procès de David Storey. Ce Noir de 38 ans, réalisateur, renommé pour des films "où il pousse la violence et le sexe aux limites du supportable", est accusé du meurtre d’une jeune actrice. Les médias sont affriolés, la communauté noire est sur les dents, et dans cette affaire, le témoignage de Bosh, qu’on avait chargé de l’enquête de police, est crucial. Dans le coin gauche, Tierry McCaleb, profileur brillant et passionné qu’un accident cardiaque a poussé à une retraite forcée du FBI (voir Créance de sang).

Marié et nouveau père, McCaleb tente de couler des jours tranquilles en dirigeant sa petite entreprise de bateaux de croisière avec un vieil ami un peu trop curieux. Quand une ancienne collègue du FBI lui demande, au nom de l’amitié, de l’aider à voir clair dans une sordide histoire de meurtres en série, McCaleb ne peut résister à la tentation de retourner à ses anciennes amours. Au grand désespoir de sa femme, qui craint toujours pour sa santé et pour leur

sécurité. Gunn, l’homme retrouvé mort, avait été soupçonné, six ans plus tôt, du meurtre d’une prostituée. "Il y avait certes des incohérences entre ce qu’il avait raconté aux policiers et les preuves matérielles retrouvées sur place, se rappela McCaleb, mais pas suffisamment pour que le procureur du district retienne des charges à son encontre. Pour

finir, on avait clos le dossier à regret en parlant de légitime défense, et classé l’affaire". C’était l’inspecteur Harry Bosh qui avait alors dirigé l’enquête…

Sur la scène du meurtre, le séjour d’un petit logement minable, l’assassin de Gunn a laissé quelques indices que seul un profileur aguerri comme McCaleb pouvait déceler. Dont une chouette de plastique, de celles qu’on installe sur les toits des immeubles pour effrayer les pigeons, qui a été placée sur le dessus d’une bibliothèque, et afin qu’elle puisse, semble-t-il, tout voir. Et une étrange inscription en latin (Cave cave dus videt, Prends-garde, prends-garde, Dieu voit). Autant d’indices qui mènent McCaleb sur une piste inusitée, les tableaux d’un peintre hollandais de la Renaissance nordique, Hieronymus Bosch, célèbre pour ses représentations des tourments de l’enfer, et pour les chouettes qu’il dissimulait

dans les détails de ses toiles. Or, souvenez-vous: le véritable prénom de notre Bosh, c’est Hieronymus, tout comme le peintre.

On savait, depuis Le Dernier Coyote, que Harry Bosh n’était pas toujours au-dessus de tout soupçon. Et qu’il avait tendance à vouloir faire sa propre loi, au mépris du respect de ses supérieurs. Mais, bien entendu, la conclusion des événements lui donnait toujours raison. Or, cette fois-ci, les preuves sont véritablement accablantes. Tout porte à croire que Bosh, ce vieux hibou, a sauté quelques plombs. Suspect numéro un de cette enquête menée dans le plus grand secret, il semble n’avoir aucune chance de s’en sortir.

Si Michael Connelly a parfois déçu ses fans, avec L’Oiseau des ténèbres, ils seront comblés. Mêlant avec brio polar et beaux-arts, à la manière du fameux Trois Carrés rouges sur fond noir (Série Noire) qui a propulsé la carrière de Tonino Bénacquista, L’Oiseau des ténèbres est l’une de ses plus belles réussites.

L’Oiseau des ténèbres
de Michael Connelly
traduit de l’américain par Robert Pépin
Éd. Seuil, 2001, 406 pages

L'Oiseau des ténèbres
L’Oiseau des ténèbres
Michael Connelly