L'Iguane : La bête lumineuse
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L’Iguane : La bête lumineuse

Cette première incursion de Denis Thériault dans le domaine romanesque en est une de choc. Son roman fait preuve d’une imagination débordante, c’est le moins qu’on puisse dire.

"Elles surgissent du levant, les mouettes, et s’assemblent en grappes grouillantes sur toutes les arêtes de toiture pour se lamenter en choeur. Elles s’appellent, se répondent, s’excitent les unes les autres, elles poussent des cris de sorcières au sabbat, et comme ma chambre est en haut, sous les combles, je peux les entendre piétiner. On croirait qu’un bataillon de gnomes manoeuvre sur ma tête." Dans cet incipit qui ouvre le premier roman de Denis Thériault, on trouve plusieurs thèmes du récit à venir: la métaphore animale, et l’élément de fantastique, représenté par l’image des gnomes colorant chaque chapitre du livre.

Le narrateur, un jeune garçon né dans le village de Villeneuve, perd ses parents lors d’un accident de motoneige, un jour de blizzard. Alors que le père y trouve la mort, décapité, la maman du jeune garçon tombe dans un coma qui laisse bien peu d’espoir à la science. "Les médecins affirment qu’elle n’entend rien mais nous lui parlons quand même. Grand-mère bavarde avec elle et imagine ses réponses. Elle lui confie les potins du village en tricotant des tonnes de mitaines pendant que je brosse ses cheveux."

L’enfant déménage chez ses grands-parents, à Ferland, village "qui oscille entre le silence et le hurlement, la canicule et le zéro absolu (…), une nuit bondée d’étoiles". Le berceau de ses rêves et de ses cauchemars; comme le giron de son nouveau foyer, où il se développera, entre un homme et une femme qui se font la guerre, et se réconcilient régulièrement, avec passion.

Sa rencontre avec Luc bouleverse toute sa vie. "Pour savoir où réside la grâce de Luc, il faut le côtoyer assez longtemps et le voir aller au naturel, le nez au vent. Pour comprendre sa beauté particulière, il faut le jeter à l’eau et le voir nager avec le voluptueux enthousiasme d’un phoque." Luc a perdu sa mère, noyée ("une baignade qui a mal tourné"), et, depuis, cultive une passion pour la mer et tout ce qui s’y rattache, comme s’il restait lié à elle, par l’imagination. Initiant le jeune narrateur aux arcanes de sa science, Luc lui fait découvrir la grotte dans laquelle vit un iguane, créature investie d’un pouvoir magique.

Luc incite son jeune ami à utiliser ce pouvoir pour sortir sa mère du coma, et prépare d’étranges cérémonies pour arriver à ses fins. "Il approvisionne son chevet en coquillages mystiques et chuchote à son oreille certaines formules thérapeutiques en jargon de triton." Peu de temps après, le fils orphelin fait d’étranges rêves, dans lesquels le fantôme de son père lui apparaît. Pourquoi? Que veut-il? Ses songes font-ils partie du pouvoir de l’iguane?

Il comprend peu à peu qu’une énigme lui est posée, et qu’il lui faut la résoudre pour que sa mère revienne à la vie.

Une histoire réinventée
Cette première incursion de Denis Thériault dans le domaine romanesque en est une de choc. Son roman fait preuve d’une imagination débordante, c’est le moins qu’on puisse dire. De la description des lieux (la forêt, la côte, l’Anse, où se situe le refuge de Luc), baroque et grandiose, à celle des personnages, comme sa "mère de cristal", alitée et évanescente, Thériault brode une sorte de conte, au sein duquel l’on retrouve plusieurs des thèmes qui ont fait les beaux jours de la psychocritique: celui de l’eau, et de son pouvoir de métamorphose (pensons par exemple aux analyses de Gaston Bachelard); celui des rêves, et, bien sûr, de la quête des figures maternelle et paternelle; sans oublier le thème de la décapitation, image lourde de symboles.

Dans ce roman, c’est aussi le style inventif de Thériault qui surprend, et une écriture bien à lui. Contrairement à d’autres romanciers qui mettent en scène des narrateurs enfants, ce qui est une dominante en littérature québécoise, pas de place ici pour les plaintes ni les gémissements: les héros sont avant tout combatifs, et ce n’est pas à travers l’arrogance de la langue que le lecteur perçoit leur force, leur désir d’autonomie.

Bref, pas de "ducharmite" chez Thériault. Par contre, l’écriture reste surchargée, et l’on sent le travail, louable mais trop visible, de la formule-choc à tout prix, ou de la métaphore un peu forcée ("J’ai renoncé à franchir le canyon de méfiance qui sépare nos pupitres mais il continue de m’appâter l’oeil."). On a envie d’éliminer toutes ces fioritures qui n’ajoutent rien à l’imagination déjà bien palpable de Denis Thériault.

L’Iguane
Éd. XYZ, 2001, 186 p.

L'Iguane
L’Iguane
Denis Thériault