Yves Préfontaine : L'alchimie du verbe
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Yves Préfontaine : L’alchimie du verbe

Après 10 années de silence poétique, la voix d’YVES PRÉFONTAINE s’élève à nouveau. Une voix profonde et ample; l’une des plus significatives de notre poésie. Entretien avec un homme de parole.

Entrevue avec Yves Préfontaine

Il a publié ses premiers poèmes à 15 ans. Explorant le langage comme d’autres, les fonds marins ou l’espace, fouillant l’inconnu pour y percevoir ou, mieux, y inventer des repères, il allait bientôt devenir l’un des poètes majeurs de sa génération. "Il faut fatalement entendre quelque chose. On ne peut pas ne rien entendre", écrivait-il dans Boréal, un premier recueil paru en 1957. Des mots qui allaient résonner dans toute son oeuvre.

Yves Préfontaine a, depuis, publié une dizaine de livres, récolté plusieurs prix (dont le France-Québec 1968) et connu un parcours professionnel singulier. Entre autres, l’écrivain a été rédacteur en chef de la revue Liberté, a animé de mémorables émissions de jazz à la radio de Radio-Canada, en plus de jouer les chefs de cabinet pour Camille Laurin, alors ministre d’État au développement culturel.

Yves Préfontaine s’intéresse à tout. Durant les quelques heures passées ensemble, nous allons naviguer entre littérature et cuisines du monde, entre jazz contemporain et géologie, entre Hegel et Star Trek… Entrevue joliment décousue, pleine de parenthèses et d’anecdotes, où apparaissent des amis prénommés Anne, Gaston, Miles ou Leonard. "Je pense pouvoir dire que ma vie n’a pas été banale", dira le poète né en 1937, le regard encore brillant de jeunesse, d’une voix toujours empreinte de fierté; jamais de prétention.

La puissance du verbe
Avec Être – Aimer – Tuer, c’est un silence de plus de 10 ans qui est rompu. Pour être plus précis, le poète n’avait rien publié depuis Le Désert maintenant (1987), mis à part Parole tenue, l’imposante rétrospective parue à l’Hexagone en 1990. Pourquoi le silence? "Après Le Désert maintenant, raconte Yves Préfontaine, j’ai éprouvé un malaise par rapport à l’écriture – je cherchais de nouvelles avenues poétiques -, mais aussi par rapport à la société québécoise. À moins d’être schizophrène, on ne peut pas, comme auteur, demeurer insensible à tout ce qui se passe autour de nous, et cette période, à mes yeux, en était une d’immobilisme social et politique. Je suis resté en retrait."

Être – Aimer – Tuer, triptyque déployé autour de trois verbes fondamentaux, coïncide avec une certaine quête spirituelle propre à notre époque. Le poète pose dans Le Verbe-Être, la première partie, une question qui touche à la foi, au sens large bien sûr: l’être n’est-il que le fruit d’un grand chaos cosmique, abandonné "au hasard et à la nécessité", donc seul créateur et porteur du verbe, ou encore est-il appelé à se prolonger dans un verbe qui ouvre sur quelque chose de plus grand que lui? Préfontaine penche pour la deuxième hypothèse et partage des intuitions en ce sens, mais il évoque surtout l’acte de foi nécessaire au seuil de chaque jour. "Je ne suis pas croyant, du moins je n’adhère à aucune religion ou doctrine qui prétend avoir réponse à tout, mais je suis sensible à certaines "Forces", pour employer un terme important dans ma poésie, et je crois que la parole nous initie à quelque chose qui nous dépasse."

Le grand ciel
Yves Préfontaine interroge d’ailleurs les limites de la science. Devant les constantes avancées de l’exploration spatiale, par exemple, il se montre sceptique. "Nous sommes faits de la même matière que l’univers, soit de minéraux et d’eau. L’essentiel de ce que l’univers a à nous apprendre ne se trouve-t-il pas en nous?" Le poète n’en est pas moins fasciné par les confins du cosmos. Joli paradoxe. Amateur de science-fiction (il ne tarit pas d’éloges sur le 2001 de Kubrick ou le Solaris de Tarkovski), il rêve encore, à la manière d’un gamin, d’étoiles et de fusées fabuleuses. "Je monterais n’importe quand dans l’un de ces engins-là, moi!"

Grand lecteur d’Hubert Reeves et de tout ce qui touche à la cosmologie, il montre aussi, dans ses poèmes, la troublante parenté entre les mouvements observés dans la nuit sidérale et les mouvements qui animent l’être humain. "Lumière fondatrice, / ellipses fabuleuses des planètes / les plus lointaines / et qu’en moi je porte pourtant, / girations des galaxies / s’entredévorant en étreintes indicibles / et qui pourtant coulent dans mon sang."

Yves Préfontaine a toutefois les pieds ancrés au sol et des préoccupations bien terrestres. Très au courant des situations politiques à travers le monde, il peut discourir des heures durant à propos des conflits ethniques en Afrique ou des tensions au Proche-Orient. La troisième partie de son recueil, intitulée Le Verbe-Tuer, fait d’ailleurs écho à la violence de l’Homme envers lui-même. Partie quelque peu à part dans un livre tourné vers l’intérieur davantage que sur les drames du monde, elle situe l’individu dans un chaos dont il est parfois responsable.

Une paix relative avec l’humanité demeure possible, malgré la cruauté humaine. La partie intitulée Le Verbe-Aimer célèbre la communion des corps, plaçant l’être aimé "au centre lumineux" d’une métamorphose salutaire.

Autre lieu de réconciliation avec le monde: la musique. Érudit en la matière, amateur de compositeurs aussi différents que John Coltrane et Anton Webern, Yves Préfontaine doit à la musique ses plus grandes extases. "Elle est pour moi une nourriture extraordinaire. Plusieurs penseurs, dont certains écrivains, n’hésitent pas à placer la musique au-dessus de tous les arts, et je suis plutôt d’accord avec cette idée. D’autant qu’il n’y a pas la barrière du langage en musique, ce qui en fait un mode d’expression parfaitement universel."

Yves Préfontaine admet qu’il aimerait bien, à l’instar des corps célestes, vivre plusieurs siècles. Il ne lui en faudrait certes pas moins pour étancher toutes ses soifs d’expériences et de connaissance.

Être – Aimer – Tuer, d’Yves Préfontaine
Éd. de l’Hexagone
2001, 208 pages

Être - Aimer - Tuer
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Yves Préfontaine