Allégeances et dépendances : Réponse de Normand
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Allégeances et dépendances : Réponse de Normand

Il faudra bien un jour que l’on cesse de chercher à trancher pour définir notre identité québécoise. Un vieux débat, auquel l’historien Yvan Lamonde répond de façon originale. Une nouvelle identité sera-t-elle possible?

Q = – (F) + (GB) + (USA)2 – (R) + (C): telle serait, selon Yvan Lamonde, sous forme d’équation, la structure identitaire de la société québécoise.

La formule schématise les conclusions auxquelles Lamonde est arrivé après 20 ans de travaux en histoire socioculturelle et intellectuelle du Québec. L’identité québécoise (Q) est un composé dans lequel on retrouve moins de tradition française qu’on se plaît à s’en convaincre (- F), un plus grand héritage britannique qu’on est prêt à le reconnaître (+ GB), beaucoup plus d’éléments états-uniens qu’on veut l’admettre (+ USA2), moins d’influence du catholicisme romain (- R) que le clergé a cherché à nous le faire croire, et plus d’aspects en commun avec le reste du Canada (+ C) qu’il n’y semble à première vue!

Dans Allégeances et dépendances, Yvan Lamonde se penche sur l’histoire de chacune de ces composantes. Constat général: l’ambivalence est au coeur même de notre identité socioculturelle.

Les pages sur notre rapport au reste du Canada s’attardent entre autres sur une ambivalence séculaire, qui nous conduit à défendre à la fois le parti de l’autonomie et celui de la fédération: à soutenir simultanément, comme on l’a fait au tournant des XIXe et XXe siècles, Henri Bourassa et Wilfrid Laurier; à voter, comme on le faisait encore dans les années 70, pour René Lévesque au palier provincial, tout en maintenant le gouvernement centralisateur de Trudeau au pouvoir!

Le chapitre consacré à "Rome et le Vatican" explore les relations que nous avons entretenues avec l’autorité papale, lesquelles étaient passablement plus ambiguës qu’il n’y paraît de prime abord. Le segment sur l’influence de l’Angleterre éclaire plus particulièrement les origines de nos traditions politiques, et une autre manifestation d’ambivalence: au XXe siècle, c’est au nom du respect des règles de droit britannique qu’on a voulu se soustraire de la domination de l’Angleterre! Les lignes traitant de notre relation avec la France soulignent comment nous avons longtemps prétendu être demeurés des Français, tandis que les Français nous voyaient comme des Américains fort différents d’eux.

La question de "L’américanité du Québec" occupe d’ailleurs près de la moitié de l’ouvrage. Au fil d’une démonstration remarquable de clarté et d’érudition (mais reprenant intégralement des pages déjà publiées il y a quelques années de cela dans un petit bouquin intitulé Ni avec eux ni sans eux), Lamonde dévoile l’ambivalence de notre rapport à la culture états-unienne: nous affirmons la détester, mais nous ne cessons cependant pas de nous en délecter! Cette relation s’est structurée au tournant du XXe siècle, nous apprend l’historien, alors qu’"un clivage social s’est instauré dans la culture nationale du Québec: les élites du pouvoir et du savoir trouvaient leur modèle d’identité en France, de l’autre côté de l’Atlantique; les milieux populaires et la classe moyenne participaient de la réalité nord-américaine, continentale".

Allégeances et dépendances conclut ceci de ces analyses historiques: ce n’est pas tant la multiplicité de nos composantes socioculturelles qui est l’élément fondamental de notre identité, mais l’ambivalence des relations que nous entretenons avec chacune d’entre elles. On a longtemps affirmé (et beaucoup continuent à le faire…) que le Québec devait se décider à être ou français ou anglais. Les conclusions des travaux d’Yvan Lamonde conduisent à croire qu’il est temps de changer ce "ou" pour un "et": de reconnaître que l’identité québécoise tient à notre façon d’être tout à la fois français et britanniques, états-uniens et canadiens, avec des restes de catholicisme…

Les résultats référendaires semblent d’ailleurs le confirmer: le Oui a perdu par deux fois avec un peu moins de 50 % des voix; le Non l’a emporté avec à peine plus de la moitié des votes. Le phénomène est peut-être signe qu’au Québec, le temps n’est plus à l’alternative (au oui ou non) mais à l’affirmation de nos ambivalences: au oui et non!

Allégeances et dépendances
L’Histoire d’une ambivalence identitaire
par Yvan Lamonde
Éd. Nota Bene, 2001, 266 p.

Allégeances et dépendances
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Yvan Lamonde