Michel Folco : La belle histoire
Livres

Michel Folco : La belle histoire

Les livres de MICHEL FOLCO sont de vrais plaisirs de lecture. Depuis son premier roman, paru en 1991, dix ans ont passé avant que l’écrivain ne nous revienne avec un troisième titre et, surtout, la suite des aventures de Charlemagne Tricotin. Mais qui se cache derrière ce héros irrésistible? Nous avons joint l’auteur à Paris.

"J’avais envie d’écrire depuis que j’étais môme. Pour moi, publier a été la réalisation d’un rêve." Dix ans après la parution de Dieu et nous seuls pouvons, Michel Folco est encore tout étonné de son succès: ses livres se vendent bien, il rejoint un grand public, très diversifié, et cela l’enchante.

La saga des Pibrac, bourreaux de père en fils (Dieu et nous seuls pouvons, titre qui est aussi la phrase emblématique des bourreaux), et celle des Tricotin (famille de sabotiers) se déroulent dans la campagne aveyronnaise du XVIIIe siècle (Un loup est un loup). Et, depuis la scène finale du second roman, les deux familles se croisent. Le fils du sabotier, héros fougueux et sympathique, devait se marier avec la fille du bourreau. Mais voilà, Folco s’est fait des ennemis, car les fans attendent toujours la réponse de Charlemagne. Voilà donc cette suite tant attendue: En avant comme avant!.

Héros malgré lui
Michel Folco prête ses traits au personnage de Charlemagne pour l’illustration de la couverture depuis le début. Pas par vantardise, mais parce que "ça allait tout seul, c’était une évidence". Pas de photo de presse pour l’auteur, donc, mais une tête que vous n’êtes pas près d’oublier. Et avec ça, une voix, un débit pleins de générosité, un plaisir de raconter la création de ses romans; une gaieté contagieuse palpable au téléphone, de Paris, où Folco était en visite mercredi dernier, et d’où il nous parlait.

L’écrivain est très volubile et plein de tendresse pour parler de son héros. "Sa naissance est un peu hasardeuse: j’avais une idée, celle de le mettre en scène avec un frère jumeau; puis après, je voyais des triplés; puis après des quintuplés! Et comme j’en connaissais personnellement, j’ai vu de l’intérieur comment vivaient les membres de cette petite tribu. Et le langage inventé (les quintuplés Tricotin parlent une langue inventée: le lenou, NDLR), c’est vrai, c’est une chose que j’ai vue et entendue."

Dans Un loup est un loup, Charlemagne, l’aîné des quintuplés (mais, se demande Folco, le premier à sortir n’est-il pas le dernier conçu? Question existentielle, à laquelle l’écrivain tente encore de répondre), se fait connaître par une habileté singulière, celle de communiquer avec les loups, lui qui, après sa fuite en forêt, élèvera des louveteaux abandonnés dans les bois. Il découvre leur comportement, leur langage, leurs codes. Charlemagne, adolescent sauvage et plein d’affection pour ses bêtes, devient presque mage, lui qui détient des secrets, et à qui les loups ne font pas peur.

Et d’ailleurs, rien ne lui fait peur, comme le démontre En avant comme avant!. Charlemagne, devenu un grand gaillard, mais qui zozote toujours – ce qui le rend tout à fait charmant -, gobe, le jour de son mariage, 500 hosties. Il est condamné à 501 ans de galères ("Ramer zinq ziècles, z’est bien trop bête comme zentenze!" dira-t-il) et "encachoté", comme l’écrit joliment Folco. Puis, il devient prisonnier de la "Chaîne", allégorie frappante de la misère humaine en pleine période dite "des Lumières". "Partie de Paris avec huit cordons de treize couples, la chaîne s’était allongée de nouveaux cordons collectés le long du parcours dans les pris0ns des cités, dans les culs-de-basse-fosse des châteaux, dans les cachots des évêchés, dans les geôles et dans les caves pénales des bourgs et des villages. À ce jour, elle se divisait en onze cordons de vingt-six condamnés, plus un douzième cordon incomplet comptant vingt condamnés."

Ces bagnards, tueurs ou simples filous, peinent sous leurs laisses de fer, et sont l’attraction de tous les villages qu’ils traversent. Parmi les prisonniers, Charlemagne espère que ses frères et soeur viendront à son secours.

Planter le décor
En attendant, le lecteur visite une France sombre et gaillarde, une campagne pleine de vie et de révolte, de saveur, d’humour et de savoirs. L’aspect historique, qui s’éclipse derrière les péripéties de Charlemagne, est pourtant l’épine dorsale du roman. "Si je découvre, à la fin d’un chapitre, confie Folco, que mon récit n’est pas logique sur le plan historique, je change tout. Par exemple, une fois que j’eus fini ma partie sur la Bastille dans ce roman (Charlemagne y séjourne, peu de temps avant la Révolution), j’ai trouvé par hasard un livre écrit par quelqu’un qui s’était évadé de la célèbre prison. Mon texte ne marchait plus! J’ai tout refait. Pas le choix!" En vérité, Michel Folco est un peu maniaque. C’est qu’il veut donner toute la crédibilité possible à son histoire, pour que ses personnages prennent vie. Et ça marche.

Et si l’Histoire est au coeur du roman, c’est dans la langue de Folco qu’elle s’épanouit. Étonnamment, l’auteur plonge sa plume dans l’encre de l’ancien français et de son vocabulaire désuet, mais le lecteur comprend tout, même les mots qu’il ne connaît pas, et surtout, il se bidonne. Comment a fait l’écrivain? "J’ai lu des dictionnaires entiers de français classique; puis, j’ai choisi les mots que j’aimais, qui me faisaient rire (très important), et qui sont pleins de poésie. Et j’en invente aussi, des mots, j’en ai bien le droit. Comme "enfuribonder": ça n’existe pas, mais ce n’est pas si illogique. Ce sont les limites que je m’impose: qu’il y ait une cohérence. De plus, je n’ai pas le choix de bien travailler cet aspect, car j’ai voulu que tous mes personnages s’expriment différemment. Et leur façon de se manifester passe par la langue: elle les définit."

Tout comme les noms et prénoms qu’ils portent. Il y aurait une thèse à écrire sur l’onomastique chez Folco: qu’il s’agisse de Carcasse, le chef de la Chaîne; des Pointrail de la Roucoulette, nobles de la campagne; d’Escampobariou, prisonnier voisin de Charlemagne; de l’oncle Camboulives; du prévôt Évangile Frétin, et combien d’autres. Tous revêtent déjà un visage grâce à l’imaginaire débridé de Folco. " Quand j’invente (car ils ne sont pas tous faux!), je consulte le dictionnaire des noms et prénoms de France pour rester réaliste. Il faut que ça "puisse" exister. Ainsi, Roucoulette, je l’ai inventé; mais Outredebanque, ça existe vraiment, c’était le nom du bourreau d’Arras, une ville de France."

Un nouveau roman du terroir?
Pour recréer la société et l’atmosphère de la France d’alors, Folco a surtout consulté les journaux et mémoires des gens de l’époque. "J’ai lu des mémoires écrits par des contemporains de mon personnage, parce que les auteurs y décrivent ce qu’ils ont vu dans le détail, avec des précisions indispensables pour saisir l’essence de la vie quotidienne; ensuite, je choisissais les éléments qui me surprenaient."

L’écrivain albigeois (il est né à Albi, en 1943) a donc lu les mémoires de Madame Campan (proche de Marie-Antoinette, qui laissa une correspondance et un livre sur la reine), de Madame de Genlis (éducatrice, auteure de Mémoires inédits sur le XVIIIe siècle et sur la Révolution en 10 volumes!) et, surtout, de Louis Sébastien Mercier (auteur du Tableau de Paris, en 12 volumes!). "J’ai appris dans les textes de cet écrivain des tas de choses sur la circulation routière, la voirie, la Seine, les différents métiers, les lavoirs: la vie quotidienne, quoi. Mais aussi, sur la cour de Versailles. Dans les Archives nationales, j’ai trouvé les journaux de Louis XVI (qui apparaît dans En avant comme avant, NDLR), et je sais maintenant combien de bains il a pris dans sa vie, combien d’animaux il a chassés, et qu’il était très grand, lui que je pensais petit."

Bref, avoue Folco, écrire ce roman l’a confronté à son inculture. "J’ai dû lire des ouvrages pointus sur l’ameublement ou encore sur la monnaie; ce que je n’aurais même pas imaginé avant! Il me fallait absolument comprendre cette reconstitution de l’intérieur, en moi-même, avant de la raconter. Et j’ai d’ailleurs été très surpris que mon éditeur me demande, à la suite de la parution du premier roman, pour lequel j’ai travaillé de la même manière: "Est-ce que c’est vrai, cette histoire?" Mais non, bien sûr que ce n’est pas vrai; pourtant, elle pourrait tout à fait l’être!"

Il n’y a pas qu’au Québec que la mode soit au roman historique. Mais dans le cas de Folco, l’on pourrait presque parler d’un "nouveau roman du terroir". "Personnellement, je ne vois aucun problème avec ça: oui, j’écris des romans régionaux, et ça ne me donne pas de complexe. Après tout, le Rouergue fut le pays de toute ma famille; ce département étant resté très sauvage, il est facile de l’imaginer à l’époque. Moi ça me plaît."

Mais qui dit roman régional ne dit pas nécessairement "régionaliste". C’est bien la nuance à faire dans le cas de ces romans qui font parler l’Histoire, sans préconiser le repli sur soi.

Écrire pour la vie
Si la lecture du roman est tout à fait réjouissante, le travail de l’écrivain ne fut pas aisé. "J’ai glandé pendant deux ans après Un loup… Je ne savais pas si j’allais continuer le roman tout de suite après la fin, ou si j’allais faire une ellipse, et retrouver Charlemagne dans le futur. Et puis je me suis dit que c’était méchant d’écrire "À suivre" et de ne pas respecter mon engagement…" C’est que l’écriture ne lui vient pas facilement: l’accouchement est pénible. "J’écris avec difficulté, c’est laborieux, ce n’est pas naturel. Et c’est pour cela que j’ADORE les ordinateurs. Ils me permettent de mieux travailler, de corriger au fur et à mesure. Bref, c’est une trouvaille formidable."

Folco a présenté son premier livre, Dieu et nous seuls pouvons, publié en 1991, à 20 maisons d’édition. Toutes l’ont refusé (et toutes doivent se mordre les doigts, mais c’est ça la vie d’éditeur!). "Et c’est Le Seuil, à qui je ne l’avais même pas envoyé, qui l’a pris, et ce, par le contact d’une amie chez cet éditeur. Mais je n’aurais jamais pensé que mon livre les intéresserait. Et je suis très content car cette maison a donné dès le départ un sceau de respectabilité à mon roman." Depuis, Folco a laissé tomber son emploi de photographe de presse, et se consacre uniquement à l’écriture. "Je vis de ma plume, et de mes droits d’auteur que je touche une fois par année. Mais je ne dois pas traîner pour écrire un autre roman, parce que les recettes s’amenuisent au fur et à mesure que passent les années. Mais j’avoue qu’il m’est très difficile de faire autre chose en même temps. Écrire me comble; même si c’est difficile, c’est là que je suis le plus satisfait."

Avant de finir l’entrevue, Folco me donne son adresse à Valbonne, petite ville du Midi, entre Grasse et Cannes, pour qu’on lui envoie une copie du journal. Il n’en revient pas encore que le "Canada" puisse s’intéresser à lui. Il n’en revient pas non plus que ses petites manies, comme celle de collectionner les clichés abandonnés dans les Photomaton, ait pu séduire un réalisateur. En effet, Le Destin fabuleux d’Amélie Poulain, qui débarquera sur nos écrans à l’automne, a été inspiré à Jean-Pierre Jeunet par nul autre que Michel Folco.

Pas étonnant de le retrouver en filigrane dans l’univers éclaté du cinéaste qui a cosigné Delicatessen.

En plus de développer un récit fabuleux, Folco met la langue française doublement à l’honneur; car tout en ressuscitant son classicisme, il y projette des accents surréalistes pleins d’ironie. C’est ce qui fait l’originalité et l’extravagance, rafraîchissantes, de son écriture.

En avant comme avant!
de Michel Folco
Éd. du Seuil, 2001, 381 p.

Extrait:
La scène se déroule dans une librairie, Au papier qui parle:

– Ze veux asseter un dictionnaire.
Le regard ennuyé du libraire alla du tricorne aux bottes crottées en passant par le sabre, les bagages et la redingote à la dernière mode.
– Quelle sorte de dictionnaire avez-vous en tête, monsieur?
La question troubla Charlemagne. Il ignorait qu’il pût y en avoir plus d’une sorte.
– Z’en veux un où zont expliqués tous les mots qui ze parlent.
Maître Bourdin hocha sa grosse tête ronde en désignant un rayon au niveau du sol où s’alignaient plusieurs très gros livres.
(…)
Il prit les volumes cités et les déposa sur une table de consultation.
Après les avoir examinés, Charlemagne se décida pour le Dictionnaire universel contenant généralement tous les mots français tant vieux que modernes et les termes des sciences et des arts.
Il posa son index sur le "tous" du titre.
– TOUS les mots zont vraiment dedans?
Le libraire se permit un petit rire printanier.
– Pas un n’y fait défaut, mon cher, à l’exception des mots orduriers, cela va de soi.