Pour qui vous prenez-vous? : Geneviève Brisac
Étrange. Vous aurez beau retourner le bouquin dans tous les sens, rien ne vous indique, ni sur la page couverture, ni à l’endos, ni même sur la page de garde, que ce septième livre signé Geneviève Brisac est, en fait, un recueil de nouvelles.
Étrange. Vous aurez beau retourner le bouquin dans tous les sens, rien ne vous indique, ni sur la page couverture, ni à l’endos, ni même sur la page de garde, que ce septième livre signé Geneviève Brisac est, en fait, un recueil de nouvelles. Peut-être qu’aux éditions de l’Olivier, on a eu peur d’effaroucher les lecteurs qui s’imaginent ne pas aimer le genre bref. Si c’est le cas, l’idée n’était après tout pas si bête, car ces derniers se seraient privés d’un très bon Brisac.
Après avoir suivi, le temps de trois romans, le personnage de Nouk, de Petite à Voir les jardins de Babylone, l’éditrice, critique parfois féroce au Monde, et auteure de Week-end de chasse à la mère (prix Fémina 1996), a donc choisi de réunir quelques courts textes, mais de le faire à sa manière. Dans ces 11 nouvelles, où l’on retrouve avec joie son petit accent british, sa cruauté dentelée, son humour à croquer, il y aura aussi, parfois, des images ou un personnage récurrents, comme cette pédiatre mal chaussée au nom très durassien de Melissa Scholtès, que sa belle-fille prive de ses petits-enfants parce qu’elle la trouve culpabilisante ("(…) tu te rends compte, moi, culpabilisante, tu peux croire une chose pareille, après dix ans de réflexion sur les travaux de Françoise Dolto!"), ou ces corbeaux qui traversent des ciels mornes comme autant de mauvais présages.
Ce qui relie ses personnages de ce recueil drôle et mordant, outre des liens assez lointains, ce sont leurs peurs, petites ou grandes, obsédantes et inavouables. Dans Air conditionné, la claustrophobie d’une femme prise dans un taxi où le chauffeur tient mordicus à garder les vitres fermées: " (…) c’est climatisé, ici. Les vitres doivent être verrouillées."
Dans Maïakovski se lavait sans cesse les mains, le désespoir naissant d’une autre qui voit tout son bonheur s’effriter. Dans Les Poissons morts du golfe du
Mexique, la phobie des avions d’un homme qui part en vacances; ou, dans La Voyante et les Cailloux, la manie d’une mère poule d’imaginer, à partir de la moindre situation, les pires catastrophes.
"Deux corbeaux se sont mis à crier, raconte la narratrice de Madame Archer, impasse des sortilèges, leur plainte m’écorche le coeur. J’adore en vérité le cri des corbeaux. C’est – m’a-t-on dit – l’un des animaux les plus proches de l’être humain. Je pense que les corbeaux savent qu’ils sont mortels. Ça les rend intelligents, névrosés, cruels, intéressants, tendres aussi."
Ils sont comme ça, exactement, les personnages de Geneviève Brisac: intelligents, névrosés, cruels, intéressants, tendres aussi. Le livre est parsemé de références littéraires, d’Henry James à Virginia Woolf, en passant par Flaubert et Maïakovski, soutenu par un style magnifique, et rempli d’odeurs gourmandes et sensuelles, puisque les odeurs, ainsi que le croit cette pauvre Mélinée à qui on a tout enlevé (Le Bain ou dis-moi la vérité sur
l’amour), "on ne peut pas vous enlever ça"…
Pour qui vous prenez-vous? se lit comme on déguste un thé rare, humant, goûtant, appréciant sa chaleur, sa fraîcheur et son amère légèreté.
Pour qui vous prenez-vous?
de Geneviève Brisac
Éd. de l’Olivier, 2001, 173 p.