Les Nains de la mort : Jonathan Coe
Pour le pauvre William par contre, dont le roman raconte les tribulations tragicomiques, les débuts avant la gloire se révèlent pour le moins pénibles. Installé depuis peu à Londres, le jeune pianiste végète au sein d’un groupe minable qui écorche ses compositions.
Maints artistes vivent de difficiles balbutiements avant d’émerger en pleine lumière. Pour l’excellent écrivain britannique Jonathan Coe, la réussite ne se fit peut-être pas désirer si longtemps, si l’on en juge par son savoureux troisième opus, Les Nains de la mort, publié originellement en 1990, donc avant ses coups de maître Testament à l’anglaise et La Maison du sommeil, et que Gallimard nous offre aujourd’hui en traduction française.
Pour le pauvre William par contre, dont le roman raconte les tribulations tragicomiques, les débuts avant la gloire se révèlent pour le moins pénibles. Installé depuis peu à Londres, le jeune pianiste végète au sein d’un groupe minable qui écorche ses compositions. Échoué dans une lointaine banlieue désertée par les autobus ("attendre à un arrêt de bus le dimanche, c’est comme aller à l’église: c’est un acte de foi", écrit notre brave narrateur), il communique avec son invisible colocataire par le biais de petits billets doux-amers. Sur le front sentimental, il s’entête dans une relation frustrante avec l’insaisissable Madeline, aussi froide et blonde qu’une héroïne d’Hitchcock – et qui a de plus le mauvais goût d’aimer les musicals d’Andrew Lloyd Webber!
Et voilà pour finir que William est témoin d’un meurtre crapuleux, perpétré par deux nains cagoulés, ce qui semble curieusement le renvoyer à un vieux groupe punk baptisé Les Nains de la mort…
Comme souvent chez Jonathan Coe, cette construction romanesque (divisée comme une partition) où tout finit par être lié emprunte vaguement l’allure d’un cauchemar veiné d’humour. Mais cette intrigue folle est surtout prétexte à une peinture jouissive des embûches que rencontre un jeune provincial incapable de s’adapter à la cruelle et glaciale grande ville. Londres devient ici une sorte de décor en trompe-l’oeil dangereux, où les gens ne sont pas ce qu’ils semblent. Incapable de voir ce qui lui pend au bout du nez, William navigue de méprises en aveuglement, "étranger dans un monde lointain" – pour reprendre le titre de sa chanson – et inhospitalier.
On se prend de sympathie pour cet attachant antihéros, qui a le don de s’empêtrer dans des situations dont Coe rend bien l’absurdité sans en grossir le trait. Ce drôle et léger récit d’apprentissage, qui se conclut par une fin qui nous laisse sur la nôtre, paraît simple en comparaison de l’ampleur satirique de Testament à l’anglaise ou de la complexité brillante de La Maison du sommeil. Mais il confirme, une fois de plus, que Jonathan Coe est l’un des auteurs anglais les plus délicieux du moment.
Traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, Éd. Gallimard, 2001, 228 p.