Étoile de mer : Éloge de la fuite
Depuis Jack Kerouac, et jusqu’à Jacques Poulin, onconjugue le "road book" au masculin. Or le genre"traversée initiatique sur quatre roues" n’est pasl’apanage des hommes.
Depuis Jack Kerouac, et jusqu’à Jacques Poulin, on conjugue le "road book" au masculin. Or le genre "traversée initiatique sur quatre roues" n’est pas l’apanage des hommes. Il y a deux ans, l’Américaine Dorothy Allison s’y essayait avec bonheur dans Retour à Cayro (Belfond), un roman qui nous menait de Los Angeles aux confins de la Géorgie à bord d’une grosse bagnole pas très sûre, conduite par une mère au bord de
la crise de nerfs. Un voyage épuisant, mais ô combien salvateur.
Dernièrement, Gail Zoë Garnett, nouvelle venue dans le monde littéraire, mais connue comme actrice sous le nom de Gail Garnett (elle jouait, entre autres, le rôle d’une journaliste new-yorkaise dans Trente-deux films brefs sur Glenn Gould), prenait le relais avec Étoile de mère, nous invitant à voyager, cette fois, aux côtés d’une jeune fille qui n’a pas encore l’âge d’avoir son permis de conduire, même si elle en a l’air.
Roanne Chappel, la précoce héroïne d’Étoile de mère, a 14 ans. Mais elle a déjà le corps d’une femme, ce qui lui vaut d’être draguée par des hommes mûrs, et rejetée par les filles de son école. Elle vit seule avec une mère merveilleusement différente des autres. Une femme artiste, sculpteure, et collectionneuse d’amants. Le jour où la mère et la fille se rendent compte qu’elles flirtent avec le même homme, Roanne décide qu’elle doit partir, quitter la Côte-Ouest du Canada en autobus Greyhound, gagner les États-Unis, Malibu, la Californie, avec pour tout bagage quelques vêtements et son inséparable carnet de dessins. Il lui faut à tout prix sortir de l’orbite de sa mère, aller vers les autres, "créer son propre monde". Une fugue qui n’en est pas vraiment une, puisque ladite maman donne son accord, bien à contrecoeur, et que Roanne, sans lui dire où elle est, lui fait parvenir régulièrement des nouvelles.
Au cours de ce voyage inoubliable, Roanne fera des rencontres déterminantes. Avec, entre autres, un nain homosexuel, illustrateur de génie, qui l’hébergera pour un temps; le frère de ce dernier, un doux géant dont elle tombera amoureuse, et une riche fille à papa qui traîne avec des mégastars du rock. Il y a du John Irving, dans cet univers où la réalité donne naissance à des moments magiques. Il y a de l’effervescence dans la langue, de l’audace dans le style, une grande justesse dans les dialogues. Mais il y a surtout, dans ce premier roman d’une comédienne qui a gagné la cinquantaine, une connaissance aiguë des tourments de l’adolescence qui procure à l’ensemble une rare crédibilité.
Étoile de mer
par G. Zoë Garnett
traduit de l’anglais (Canada) par Alione Azoulay
Seuil, 2001, 332 pages