Dali – l’oeuvre peint : Robert Descharnes et Gilles Néret
Qui n’aime pas Salvador Dali? N’est-il pas l’un des peintres les plus célébrés du XXe siècle? Mais le grand public et les amateurs éclairés connaissent-ils si bien les enjeux esthétiques, intellectuels et politiques de son travail?
Qui n’aime pas Salvador Dali? N’est-il pas l’un des peintres les plus célébrés du XXe siècle? Mais le grand public et les amateurs éclairés connaissent-ils si bien les enjeux esthétiques, intellectuels et politiques de son travail? Un ouvrage récemment paru aux éditions Taschen permettra d’en apprendre un peu plus sur celui qui s’était modestement autoproclamé le "génie à la spiritualité la plus vaste de son époque"!
Cette monographie, même si elle n’est pas un catalogue raisonné de son oeuvre, réunit néanmoins presque toutes ses peintures. Y sont répertoriées plus de mille cinq cents oeuvres! Rien que pour cela, ce livre est remarquable, bien qu’il ne soit pas aussi enrichissant intellectuellement que l’incontournable catalogue de la rétrospective Dali qui s’est tenu à Beaubourg en 1980.
Pour ceux qui aiment cet artiste, c’est toutefois une occasion d’en savoir plus sur ses tableaux les plus novateurs, ceux de la fin des années 20 et 30 – tels Le Grand Masturbateur ou La Persistance de la mémoire -, ainsi que sur une quantité d’autres méconnus. Quoique quelques-uns auraient pu le rester…
Car Dali a aussi réalisé un nombre incroyable de portraits kitsch et mièvres de grands bourgeois posant avec leurs chiens, leurs chevaux, leur plus beau sourire ou leurs étincelants bijoux… Celui qui parlait de lui à la troisième personne et qui se désignait comme le "divin Dali" était aussi une courtisane qui savait prostituer son talent pour qu’il lui rapporte beaucoup d’argent.
Mais, ce qui fait justement l’intérêt de ce livre, c’est qu’il trace un portrait assez juste du personnage, et cela même si parfois on sent un peu trop l’admiration des auteurs pour leur sujet. Le lecteur y trouvera une information honnête sur les facettes les moins brillantes de Dali. On y lira, par exemple, les raisons de son exclusion du mouvement surréaliste. Il prenait plaisir à y effectuer des déclarations plus qu’ambiguës sur Hitler dont il avait du reste un portrait chez lui (tout comme un autre de Staline…). On y découvre un Dali se prétendant apolitique, mais qui du même élan se disait anarchiste et monarchiste (à la fin de sa vie, il accepta d’ailleurs de devenir marquis de Pubol). Voilà un ouvrage qui ne passe pas non plus sous silence sa lâcheté et son total manque d’implication durant la guerre d’Espagne. En annexe, se retrouve même une photo de Dali en train d’offrir un tableau à Franco…
On pourra toujours objecter que la vie de l’artiste ne permet pas de juger vraiment de son oeuvre et de ses choix esthétiques… Son amour pour la peinture pompier, comme celle de Meissonnier – qui est aussi clairement énoncé dans ce livre – ne rassurera cependant pas. Dali, qui détestait Matisse, ne fut pas qu’un moderne. Il ne faut pas oublier que son travail pictural fut aussi happé par un fort académisme. Le peintre a développé un esthétisme d’effets visuels faciles, réalistes et racoleurs (parfois digne du livre pour enfants Où est Charlie?) qui rapidement prit le dessus sur les préoccupations de fond du surréalisme.
Éd. Taschen, 2001, 780 p.