Index et L'Avancée seul dans l'insensé : Terres promises
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Index et L’Avancée seul dans l’insensé : Terres promises

Si PIERRE OUELLET et FRANCIS CATALANO travaillent des matériaux fort différents, tous deux s’entendraient pour dire que le sens ne peut naître que de la marche, du mouvement. Échos de leurs avancées respectives.

La marche: voilà bien un thème inépuisable. Thème sans doute inhérent à la poésie, d’ailleurs; mais ici exploré avec une acuité particulière.

Regardons d’abord cet ambitieux recueil coiffé d’un titre adéquat, Index. Remonter aux origines des peuples de l’Amérique précolombienne, évoquer leurs migrations, leurs avancées fragiles sur les plaques tectoniques d’un continent toujours en mouvance: tel est, en substance, le projet de Francis Catalano. Ce dernier parlera d’une "lecture stratigraphique du continent nord-américain". Rien de moins.

Par le détroit de Béring, il y a fort longtemps, des hommes et des femmes accèdent à des terres nouvelles. C’est le périple de ces peuples fondateurs qui nous est conté, sous l’angle des passions et des espoirs davantage que des faits historiques. Entremêlant légende et histoire, Catalano fait revivre les rêves et les drames des Algonquins, des Comanches, ou encore des Incas et des Aztèques, maîtres d’empires magnifiques mais bientôt menacés par des "découvreurs" qui, au fond, n’avaient rien découvert du tout.

Ce récit singulier, qui n’est jamais autre chose que de la poésie (on aurait pu en douter), sera ponctué de scènes de chasse, d’amour ou de guerre. On y relatera aussi les différentes manifestations du rapport au divin, présent chez tous les peuples.

De nos jours, d’aucuns hésiteraient à développer pareils sujets dans le poème. Or, ce qui aurait pu n’être qu’un long texte épique renvoie judicieusement à la marche de l’homme avec un petit h, dont Catalano ait l’héritier de siècles d’aspirations et de ruptures. Index, et ce n’est pas qu’une modeste réussite, nous fait percevoir la résonance du passé des peuples dans le présent de l’individu. Le poète emploie d’ailleurs souvent le "je", empruntant plusieurs identités millénaires et nous rappelant que le collectif est tissé des liens entre les êtres qui le composent: "Simple est le principe / l’unité renferme le multiple et le multiple l’unité".

Dans une veine beaucoup plus intimiste, le prolifique Pierre Ouellet plonge, avec L’Avancée seul dans l’insensé, dans la nuit de l’âme l’humaine. Si l’allitération du titre est d’un goût discutable, on découvre bientôt une prose poétique d’une précision clinique, brillante, qui montre un homme à jamais seul et pourtant profondément lié à la femme aimée, avec laquelle il marche côte à côte parmi les repères dérisoires du quotidien.

À travers deux chants qui se répondent, l’auteur témoigne d’une incessante quête de sens dans le décor stérile d’une civilisation qui perd la mémoire. Il exploite abondamment les mots greffe, chirurgie, scalpel, évoquant la précision souhaitée d’une langue capable d’isoler des morceaux de vérité dans la confusion ambiante. "Soyons précis, coupants. Les choses n’arrivent qu’une fois, qu’il faut conter froidement: d’une voix éteinte, tranchante. Un instrument de précision: la langue qu’on parle, en soi, qui se rapporte à son passé."

Au terme d’une patiente opération du langage, on accède à l’"autre en soi", cette part de l’être qui ne participe guère au quotidien mais recueille toutes les émotions; cette zone où le passé ne meurt jamais, même si ses liens avec le présent sont à réinventer continuellement. "On est au passé, à l’imparfait. Mal conjugué. Dans la discordance des temps."

Autour des verbes aimer et mourir, s’articule une poésie d’une grande amplitude, riche d’images parfois déconcertantes mais toujours fortes. Le portrait de cet homme coupé du monde, pour qui le poème représente peut-être le seul lieu de sens et de probables avancées, est enrichi par les tableaux de Marc Séguin, dont les formes humaines à moitié avalées par la nuit illustrent bien le propos.

Chacun de ces deux recueils bien différents éclairent chacun des voies sur lesquelles nous marchons avec bonheur, certes inquiétés par les violences du monde et de l’âme humaine, mais ravis d’en cueillir les éclats poétiques, ou la beauté secrète.

Index, de Francis Catalano
Éditions Trait d’union
2001, 160 pages
L’avancée seul dans l’insensé, de Pierre Ouellet
Éditions du Noroît
2001, 112 pages

Index et L'Avancée seul dans l'insensé
Index et L’Avancée seul dans l’insensé
Francis Catalano et Pierre Ouellet