Les Bonbons chinois : Jeunesse d'aujourd'hui
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Les Bonbons chinois : Jeunesse d’aujourd’hui

Peinture crue d’une certaine jeunesse marginale, Les Bonbons chinois, le premier roman de la Shangaïenne MIAN MIAN, a fait un certain bruit en France. Et est interdit en Chine. L’envers de la médaille.

Rien n’est plus irrésistible pour la culture occidentale contemporaine que le parfum exotico-sulfureux émanant des oeuvres frappées d’interdit par les régimes autoritaires étrangers. Peinture crue d’une certaine jeunesse marginale, Les Bonbons chinois a fait un certain bruit en France. D’autant que le premier roman de Mian Mian a été traduit dans la langue de Pivot simultanément avec le licencieux Shangai Baby, de Zhou Weihui, dont la publication en avril 2000 a entraîné dans son sillage l’interdiction des deux romans – qui circulent depuis clandestinement – par les autorités chinoises.

Au printemps, les médias français se sont régalés de la rivalité entre les deux Shangaïennes, Mian Mian accusant sa compatriote de plagiat. Ajoutons – ce qui n’est peut-être pas étranger à cette popularité médiatique – que les deux oeuvres tombent en plein dans une grande tendance hexagonale: les femmes écrivains qui parlent très explicitement de sexualité…

Si ce n’était cet important détail qu’elle a lieu à l’ombre du régime de fer de la Chine communiste, Les Bonbons chinois raconterait une histoire aussi familière que sordide, celle d’une jeunesse perdue vivant à l’heure du sexe, drogue, et rock’n roll. Toxicomanie, prostitution, libertinage, homosexualité, menace du sida: ce roman aux accents autobiographiques d’une auteure née en 1970 présente l’envers de la Chine officielle. Celle qu’on ne nous montrera certainement pas lors des Jeux de 2008…

Née dans une famille intellectuelle permissive ("Nos parents n’ont jamais vécu à leur époque une quelconque liberté, et ils nous ont laissé faire tout ce que nous voulions, sans conscience des dangers de la liberté", a expliqué l’auteure dans une entrevue au journal La Croix), Xiao Hong est troublée à l’âge de 15 ans par le suicide de sa meilleure amie. Décrochage, fuite, un peu de prison pour avoir rendu la monnaie de sa pièce à un garçon qui lui avait asséné un coup de couteau.

Puis à 19 ans, elle rencontre le beau Saining, rocker aux lèvres pleines qui la dépucelle. Né dans un camp de rééducation, de parents "criminels politiques dans le domaine des arts", il n’en a que pour sa guitare. Elle chante dans de petits clubs. "Nous avions des envies de scène, des envies de devenir artistes. Nous vivions de l’argent qu’on nous donnait, dans la crainte constante que ça change un jour, nous préférions rester en marge de la société, à laquelle nous n’aurions d’ailleurs pas su comment nous intégrer, mais quoi, on se disait qu’on était encore jeunes."

Bientôt, l’héroïne bousille tout, engloutissant Saining dans son hébétude blanche, tandis qu’elle sombre de son côté dans l’alcoolisme. Elle hante le monde des groupes rock underground qui fleurissent dans les années 90 et celui des boîtes où les "étrangers vont pour draguer les Chinoises", cherchant son salut dans les paradis artificiels et dans l’amour. Ou dans ce qui en tient lieu: l’étreinte insatisfaisante d’une succession de petits amis abrutis ou rendus violents par les substances illicites. Au terme de ce long voyage au bout de la nuit, Xiao cherche sa vérité dans l’écriture, aspirant à devenir un "auteur nu".

La narratrice dit que l’écriture a pour elle une fonction thérapeutique, et il y a de ça ici, dans ce type de littérature direct, oscillant entre la poésie et la parole explicite. Le roman paraît parfois aussi dispersé et désorganisé que la vie des personnages qu’il dépeint. Sa façon d’alterner occasionnellement entre différents narrateurs, sans les identifier, ne facilite pas la lecture. Et on trouvera un peu répétitifs, à la longue, les détails de cette dérive urbaine. Un thème, après tout, qui n’est pas nouveau sous le soleil de l’Occident…

Mais on retrouve dans ce roman très inégal une voix qui s’impose parfois, et des scènes assez saisissantes, notamment la peinture tragico-comique de prostituées, échouées dans le quartier chaud d’une ville du Sud. Ce n’est pas là la Chine de l’oppression, mais plutôt celle d’une existence déréglée, hors cadres. C’est d’abord ce qui frappe dans Les Bonbons chinois: la quasi-absence de références politiques, d’allusions au régime. Ces jeunes-là ne sont pas les enfants martyrs de Tiananmen, mais une génération individualiste, sans idéal ni idéologie. Une faune désorientée, qui cherche un sens à sa vie et pour qui l’amour est un "luxe". Nourrie de musique anglophone, sa détresse a la même couleur que celle des exclus de n’importe quelle grande ville de la planète. Faut-il vraiment s’en réjouir?

Traduit du chinois par Sylvie Gentil
Éd. de l’Olivier, 2001, 318 p.

Les Bonbons chinois
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Mian Mian