N’oublie pas mes petits souliers : Drôle de drame
Quand on pense humour anglais, on pense finesse et délicatesse comme de la dentelle noire. Mais il y a aussi un esprit anglais mal léché, gras comme nos travers, mais pas du tout indigeste…
N’oublie pas mes petits souliers
par Joseph Connolly
Quand on pense humour anglais, on pense finesse et délicatesse comme de la dentelle noire. Mais il y a aussi un esprit anglais mal léché, gras comme nos travers, mais pas du tout indigeste, loin de là. Un humour à la David Lodge, ou à la Bridget Jones, si vous voulez. Le genre d’humour qui vous met en joie, parce qu’il vous brandit sous le nez vos pires défauts, et que, malgré tout, vous vous trouvez franchement très drôle.
C’est ce type de caricature irrésistible que pratique le Britannique Joseph Connolly, auteur du mémorable Vacances anglaises paru il y a un an aux Éditions de l’Olivier et maintenant disponible en livre de poche (aucune excuse, donc, de vous en passer), et de sa non moins délirante suite: N’oublie pas mes petits souliers, dans laquelle il s’évertue encore une fois à rendre la vie impossible à des personnages aussi pathétiques que loufoques.
Dans Vacances anglaises, Connolly, qui a quatre romans et une biographie (sur P.G. Wodehouse) à son actif, mettait en scène une bande d’amis dont les vacances dans une station balnéaire tournaient au drame ou au vinaigre, selon les personnalités de chacun. Cette fois-ci, ce sont les préparatifs de Noël qui serviront de déclencheur à une nouvelle série de péripéties, drames, histoires d’amour torrides, adultères et autres vilénies. À peine revenue de ses vacances d’été où elle a fait la connaissance de Lulu, sa désormais meilleure amie, la "plus-que-parfaite" Élizabeth est déjà à planifier sa réception de Noël ("Enfin, quand je dis réception, ce sera tout le week-end, en fait… Vous allez voir ce que vous allez voir. Un triomphe. Et tout le monde sera là…"), sous l’oeil ennuyé et résigné – et vaguement embrumé par le scotch – d’Howard, son très riche mari, qui préférerait, et de loin, passer ces jours froids dans les bras tièdes de Laa-Laa, sa nouvelle maîtresse.
Tout le monde, donc, sera là. Tout le monde, c’est-à-dire la divine Lulu, bien entendu, avec qui Élizabeth a créé une petite compagnie de consultantes à domicile (entre autres services offerts, elles fouillent la garde-robe de leurs clientes et leur disent ce dont elles doivent se débarrasser), et aussi, fatalement, John, son mari, un poivrot fini atteint d’une jalousie totalement obsessionnelle. Seront aussi présents l’inévitable Melody, mère célibataire infâme, opportuniste et alcoolique, et son bébé, l’encombrante Dawn; puis Brian et Dotty Morgan et leur fils Colin, ex-voisins jadis aisés de John et d’Élizabeth, aujourd’hui complètement fauchés et réduits à vivre dans une vieille caravane déglinguée parquée dans l’allée de la maison de leurs amis. Seront également de la fête, politesse oblige, les nouveaux voisins: un psychiatre qui est tombé amoureux de Lulu à la seconde où il l’a vue; et sa femme, qui trompe son ennui en redécorant la maison et qui communique avec son mari au moyen d’innombrables messages punaisés sur un grand tableau. ("Tu as lu mon message, Cyril? De quel message parles-tu? Celui que j’ai aperçu après le petit-déjeuner, et qui disait "Cyril, as-tu eu mon message de tout à l’heure?" Est-ce celui-ci? Ou bien est-ce l’autre, celui qui disait "Cyril, ne t’inquiète pas pour le deuxième message, ça n’a plus d’importance"?") On rit souvent, et beaucoup, au long de ces pages où la narration passe de l’un à l’autre, et où le vin, le champagne, le gin et le scotch coulent à flots.
Pourtant, les personnages de Connolly vivent des moments terribles. Tous les couples sont à couteaux tirés, proches du point de rupture: Lulu aime secrètement Élizabeth, qui ne quittera jamais son mari; Dotty est au bord de la crise de nerfs, à deux cheveux d’assassiner Brian, lequel planifie une nouvelle tentative de suicide pendant que leur fils est sur le point de vivre une déchirante peine d’amour. Tout va mal, la vie n’est vraiment pas drôle, et pourtant… Tout est dans la manière de voir les choses, et en cela, l’alcool aide grandement. "Le truc – disait John à Melody, à la toute fin de Vacances anglaises, – c’est de ne pas y penser (à la vie). Si tu y penses, ça te déchire le coeur. Mais si tu la traverses en zigzaguant, comme moi – hé bien, oui, la vie, ce n’est pas drôle, c’est comique."
Traduit de l’anglais par Alain Defossé
Éditions de l’Olivier, 2001, 488 pages