La Vie sexuelle de Catherine M. : Eaux profondes
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La Vie sexuelle de Catherine M. : Eaux profondes

Encore un énième récit qui relate d’interminables confessions sexuelles? Peut-être. Mais surtout, le livre de CATHERINE MILLET, grande dame de l’art contemporain en France, est surpenant par la qualité de l’écriture. Second regard.

On a fait beaucoup cas en France de la parution de cet étonnant récit intitulé La Vie sexuelle de Catherine M., dans lequel la directrice de rédaction d’une chic revue d’art contemporain (Art Press) raconte avec verve ses histoires de cul.

Et pour cause.

Ce n’est pas tous les jours qu’une madame, par ailleurs fort sympathique, raconte comment elle adore se faire baiser de tous bords tous côtés et, préférablement, par plus d’un mec à la fois. La cochonne fait ça, hon!, pour vrai (pour vrai?), non seulement dans des partouzes organisées mais plus volontiers à vau-l’eau, depuis 40 ans, dans des chars ou des camions, dans des parcs et des ruelles, sur des tables de travail embourbées de paperasse, avec littéralement n’importe qui, et pas nécessairement des inconnus propres de leur personne, allant jusqu’à se faire passer dessus par 40 mecs dans la même soirée, pendant que son chum, tout sourire, la prend en photo.

Un récit dégueulasse? Et pourtant: non. Loin de là. Sûr que Catherine M. est exhibitionniste, et que ce n’est pas pour rien que le titre du récit ressemble au chapeau d’une histoire de cas psychiatrique.

Mais La Vie sexuelle de Catherine M. est un objet fascinant pour d’autres raisons, qui n’ont rien à voir avec l’intérêt du lecteur pour le pseudo-récit-vérité à la Survivor/Loft Story, et qui relèvent plus sûrement de l’art littéraire.

On est pris par la rigueur et la poésie de cette descente au coeur du personnage de Catherine M., qui ne s’appliquerait sûrement pas davantage si elle choisissait de raconter ses amours de lecture ou ses plus beaux voyages. Elle écrit superbement bien, Catherine Millet. De fait, on oublie par moments que les quatre temps du parcours auquel elle nous convie (intitulés: Le nombre, L’espace, L’espace replié, Détails) sont partie d’une symphonie pour un nombre indéterminé de bites (qui n’ont que rarement l’honneur d’appartenir à un individu affublé d’un visage), une bouche, un anus, deux mains et un vagin. Et on se laisse plutôt séduire par le souci de justesse et de clarté de l’écrivaine. Et la beauté de sa plume. Voyez: "Lorsque la fellation est bien menée, que je prends mon temps, avec le loisir de réajuster ma position, de varier le rythme, alors je sens venir d’une source qui n’a pas de lieu dans mon corps une impatience qui afflue et concentre une immense énergie musculaire là, à cet endroit dont je n’ai qu’une image imprécise, au bord de ce gouffre qui m’ouvre démesurément."

Un récit unique. Moins parce qu’il éclaire quelque chose de LA sexualité féminine, comme l’a proclamé Sollers dans une recension dithyrambique (Le Monde, 6/4/01), que parce qu’il radiographie une sexualité, sans pudeur et sans honte manifestement, mais également sans fierté ni arrogance, juste avec un amalgame de passion et d’étonnement. Elle adore le cul et elle tente d’expliquer pourquoi. On l’a échappé belle. Elle aurait pu essayer de nous faire comprendre l’art contemporain.

La Vie sexuelle de Catherine M.
de Catherine Millet
Éd. Seuil, 2001, 221 p.

La Vie sexuelle de Catherine M.
La Vie sexuelle de Catherine M.
Catherine Millet