Belphégor : Prince des ténèbres
C’est à une redécouverte que nous invitent les éditions Fayard qui ressortent un polar fantastique et vieillot: Belphégor, d’Arthur Bernède.
On n’en finit plus d’exhumer du passé des oeuvres qui ont marqué l’imaginaire. La France n’y fait pas exception: pourquoi s’en priver, vu le succès des remakes, même s’ils sont nuls? Le feuilletoniste Arthur Bernède, né en 1871 et mort en 1931, a écrit plus de 200 romans grand public, dont les fameux Vidocq, L’Homme au masque de fer, Surcouf, et autres romans de cape et d’épée, d’amour, de mystère, d’horreur. C’était un homme prolifique, payé cinq francs la ligne, que d’aucuns jugent comme étant un pionnier du roman d’espionnage moderne (ainsi qu’on l’explique en préface). De plus, Bernède, passionné d’histoire, lui donnait souvent la vedette, ainsi qu’à ses grands personnages, ses mythes.
Belphégor fait partie de ceux-ci, inspiré par un "démon des découvertes et des inventions ingénieuses" (dictionnaire de Collin de Plancy, que l’on cite sur www.maison-hantee.com/belphegor) adoré par les Moabites, peuple sémite du XIVe siècle avant J.-C.. Bref, on est dans le mystère ésotérique le plus profond, comme les aimait le Paris fin de siècle dans lequel a grandi l’écrivain. Et comme on les aime aujourd’hui, ainsi que le démontre le succès des films tel The Mummy.
Bernède a publié Belphégor en 1927, aux éditions Cinéromans, et le cinéaste Henri Desfontaines l’adapta pour le cinéma. En 1965, la télévision française fit un premier remake, mettant en vedette Juliette Gréco, série en quatre épisodes qui marqua les Parisiens, et à laquelle la ténébreuse chanteuse fut longtemps associée. Aujourd’hui, c’est Sophie Marceau qui est à l’avant-scène de cette nouvelle mouture actualisée du roman de Bernède, film qui sortira sur nos écrans en septembre.
Humour noir
C’est donc à une redécouverte que nous invitent les éditions Fayard en ressortant ce polar fantastique vieillot. Un mystérieux fantôme fait des siennes au Musée du Louvre. Un gardien est assassiné, le personnel est en émoi. "Depuis le matin, le musée du Louvre, à l’exception de la salle des Dieux barbares, dont les portes avaient été hermétiquement closes, avait été rouvert au public qui, naturellement, s’y était précipité, dans l’espoir, d’ailleurs vain, d’y apprendre ou d’y voir quelque chose. Le mystère, en effet, demeurait impénétrable."
Le commissaire Chantecoq (aidé de sa fille, la charmante Colette) devra débrouiller l’affaire, et obtiendra l’assistance de Jacques Bellegarde, jeune et beau reporter plein de courage et d’initiative, travaillant au Petit Parisien. Ils tenteront de découvrir qui se cache derrière Belphégor, à moins qu’il ne s’agisse véritablement d’un fantôme, surgi de la nuit des temps pour exercer une quelconque vengeance…
On est bien loin des romans de Stephen King. Le suspense ne procure aucun frisson. On prend plutôt un plaisir bon enfant à suivre le savoureux commissaire Chantecoq dans son enquête, farcie de faits inexplicables, voire occultes, qui font frémir d’horreur les dames, et sourciller les messieurs. Ainsi, dans ce Paris des années 20, les demoiselles s’évanouissent, ont des vapeurs, surtout la belle Simone Desroches, "jeune déesse mondaine" qui compose avec une passion brûlante de la poésie. Dans une scène qui présente le personnage, elle récite devant ses amis Les Fleurs du mensonge, l’une de ses créations que le narrateur interrompt ainsi: "Laissons la poétesse infliger à ses hôtes un long supplice que nos lecteurs ne nous pardonneraient pas de leur faire partager… et ne nous occupons plus que de la femme, d’ailleurs captivante entre toutes, qu’était Simone Desroches."
On ne se lasse pas de la galanterie française…
D’autres personnages viennent ajouter au comique, comme le couple Papillon, Eudoxie et Hippolyte, baronne et baron habitant un château luxueux, que Bernède peint comme étant crédules et faciles à impressionner. L’auteur s’est visiblement beaucoup amusé en écrivant ce roman, en décrivant ses personnages caricaturaux; par ses apartés et commentaires ironiques, il semble inviter ses lecteurs à en faire tout autant. Mais, même en souriant, l’on suit l’enquête avec attention, tout comme les raisonnements spirituels de l’inspecteur Chantecoq.
La préface nous fait découvrir un écrivain négligé par l’institution, que le cinéma grand public réhabilite (ne visent-ils pas le même auditoire?). Dans sa présentation, l’éditrice Anne Besnier évoque le phénomène littéraire qu’a été Bernède, dont la production, gigantesque, fut fréquemment adaptée au grand écran; également, l’on évoque l’événement "médiatique" – un anachronisme, mais c’est la réalité – qu’a suscité Belphégor, à la fois dans les années 20 et dans les années 60. "Les acteurs sont assaillis dans la rue, pressés de répondre à l’angoissante question: mais qui est Belphégor?"
C’est toute la petite histoire qui donne au livre son charme; elle rappelle aussi que le marketing est une science que les éditeurs pratiquent depuis longtemps.
Belphégor
d’Arthur Bernède
Éd. Fayard, 2001, 386 p.