Ultimes Paroles : La fureur de vivre
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Ultimes Paroles : La fureur de vivre

Les derniers écrits de William Burroughs viennent d’être réunis et publiés, quatre ans après sa mort. Un jalon de plus dans l’oeuvre du grand écrivain de la génération beat.

Les drogues dures emportent tragiquement les jeunes gens dans la fleur de l’âge. William Burroughs était un junkie; jusqu’à la fin de sa vie, il a dû, afin de pallier l’héroïne, prendre quotidiennement de la méthadone. Et le bonhomme était d’une rare jeunesse lorsqu’il est mort à l’âge de 83 ans, le 2 août 1997, quelques mois après Allen Ginsberg, décédé à 71 ans, le 5 avril de la même année. Les deux compères auront survécu 28 ans à Jack Kerouac, l’autre des trois géants de la beat generation.

Ultimes Paroles est le dernier livre de William Burroughs. Les doigts perclus d’arthrite, l’écrivain n’était pratiquement plus capable de travailler à la machine à écrire. Des amis lui ont offert des cahiers dans lesquels il s’est mis à griffonner des impressions, des souvenirs: un peu de tout et de n’importe quoi… Et pendant les six derniers mois de son existence, Burroughs est devenu "accro à ces cahiers où il écrit".

Ainsi qu’il le formule lui-même, "une autobiographie doit être un fouillis de fragments"; Ultimes Paroles se présente comme un passionnant pêle-mêle au sein duquel se dessine l’autoportrait d’un homme qui, "à 83 ans, […] émerge à peine d’une adolescence orageuse".

Ces Ultimes Paroles sont celles d’un homme en colère contre les convenances et les gens convenables: tous des indicateurs de police, selon Burroughs, qui par ailleurs "aime bien le mot russe pour "indic": stukach. Un mot qui se crache".

L’oeuvre de William Burroughs est une lutte acharnée contre le "cauchemar climatisé" (la formule est de Henry Miller), ce monde où les plus dangereux terroristes sévissent dans les allées des supermarchés. "Dans le pays tout entier, les paquets de mort préemballés – haricots verts, steaks, aspirine, vodka, sucre – cyanure, botulisme, arsenic, aconit, baryum – qui explosent comme des bombes à retardement." Jusque dans ses Ultimes Paroles, Burroughs n’aura eu de cesse de s’en prendre à toutes les formes de correctness: le politiquement correct, le moralement correct, le sexuellement correct. "Des petites choses. Mais elles s’additionnent pour former un monde auquel je ne voudrais ni contribuer ni appartenir. […] Ramassez n’importe quel journal. Frappez à n’importe quelle porte. De moins en moins de gens comme on aimerait en voir vous ouvriront."

La vie, mode d’emploi
Ultimes Paroles est cependant traversé par la présence de quelques personnages qui parviennent à convaincre Burroughs que l’existence en vaut malgré tout le coup: "Désespéré il se jeta quelque part, et fut sauvé par son amour des chats. Aucun prêtre ou psychiatre n’y serait arrivé. Ce fut Brion Gysin [le grand amour de sa vie] et: "miaou, miaou, miaou."" Le livre s’ouvre d’ailleurs sur des lignes consacrées à la mémoire d’une chatte morte, écrasée quatre jours auparavant. "Dans les endroits vides où était la chatte, ça me fait mal physiquement. Le matin, depuis, j’éclate en sanglots incontrôlables quand je me souviens [des endroits où] elle était – s’asseyait – bougeait, etc. Pas question de comédie. Ça se produit, c’est tout."

Et le 30 juillet 1997, trois jours avant son décès, Burroughs écrit: "Penser n’est pas assez. / Rien ne l’est. Ça n’existe pas, un "assez" final de sagesse, d’expérience – de n’importe quel truc à la con. Pas de Saint-Graal, pas de Satori Final, pas de solution finale. Rien que du conflit. / La seule chose qui puisse résoudre le conflit est l’amour, comme ce que j’éprouvais pour Fletch et Ruski, Spooner et Calico. L’amour à l’état pur. / Ce que j’éprouve pour mes chats présents et passés. / L’amour? Qu’est-ce? / L’analgésique le plus naturel qui soit. / L’AMOUR."

Des mots troublants de la part de quelqu’un qui, tout au long de sa vie, s’est injecté des analgésiques chimiques pour amenuiser la douleur des blessures de l’existence…

Fort bien traduit par Mona de Pracontal, Ultimes Paroles nous rappelle ce que les écrivains de la beat generation n’ont cessé de clamer sur tous les tons depuis maintenant plus de 50 ans: la rage de vivre exige du mordant. Et à quatre fois 20 ans, William Burroughs était la preuve que la meilleure façon de prévenir l’Alzheimer est peut-être bien une bonne dose de sex, drugs and rock’n’roll…
Ultimes Paroles
Les derniers journaux de William S. Burroughs
de William Burroughs
Rassemblés et présentés par James Grauerholz
Éd. Christian Bourgois, coll. "Les Derniers Mots", 2001, 340 p.