Le Livre d'Emma : Marie-Célie Agnant
Livres

Le Livre d’Emma : Marie-Célie Agnant

Une mère est accusée d’avoir tué sa fille. Comment justifier ce geste d’une violence inouïe? C’est ce que cherche à comprendre le psychiatre chargé d’examiner Emma, l’héroïne du dernier roman de la romancière québécoise d’origine haïtienne Marie-Célie Agnant.

Une mère est accusée d’avoir tué sa fille. Comment justifier ce geste d’une violence inouïe? C’est ce que cherche à comprendre le psychiatre chargé d’examiner Emma, l’héroïne du dernier roman de la Québécoise d’origine haïtienne Marie-Célie Agnant.

Malgré l’argument de départ, l’auteure n’a pas fait de ce Livre d’Emma un polar, ni davantage un roman psychologique. D’ailleurs, le lecteur ne connaîtra jamais les détails de l’infanticide et on ne lui donnera pas les grandes lignes de la constellation psychologique de la meurtrière. Si un procès a bel et bien lieu dans les pages du livre, ce n’est pas celui auquel on s’attend. Lorsque Emma commence à raconter sa vie, en créole, à la compatriote qui lui est assignée comme interprète, c’est bien davantage le procès de l’Histoire qui est fait: l’Histoire qui a permis que les femmes noires en soient réduites à vivre des existences de chiennes. "Rien ne suscite autant de haine qu’une négresse debout. Ils voudraient nous voir toutes couchées", se lamente à juste titre Emma, alors qu’elle relate des épisodes de sa vie, et de celle des femmes avant elle, de véritables histoires d’horreur. Évidemment, cela n’aide en rien qu’Emma ait été la seule survivante d’une nichée quintuple que la mère, Fifie, eût de loin préférer voir mourir au grand complet. "Mes premiers souvenirs d’enfance, à part celui de ma naissance (…), sont les chiens. Les chiens faméliques au pelage décoloré que l’on chassait sans cesse à coups de pierres, qui s’enfuyaient, boitillant et hurlant de douleur, mais qui, sans cesse, revenaient, revenaient toujours rôder autour des cases. Je les prenais dans mes bras, enfouissais mon nez dans leur poil rare et plein de tiques. Ils léchaient mon visage et mes mains sales. Conforme à son habitude, tante Grazie se mettait alors à trépigner et à crier que j’aurais dû venir au monde avec quatre pattes. Sous le regard plein de dégoût de Fifie qui se taisait, ne disait jamais rien (…), je me roulais dans la poussière avec les chiens, en poussant des petits cris de plaisir." Par-delà l’histoire de son héroïne, c’est toute une leçon de "vie de négresse" que nous assène l’auteure: du tragique destin des premières esclaves, enchaînées dans les cales des bateaux négriers, jusqu’aux femmes modernes, comme l’interprète, qui hésitent pourtant à se faire entendre. Une leçon rendue, de surcroît, avec des qualités romanesques indéniables.

Éd. du remue-ménage, 2001, 167 p.

Le Livre d'Emma
Le Livre d’Emma
Marie-Célie Agnant