Les Nomades : Des héros très discrets
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Les Nomades : Des héros très discrets

Les personnages passent, dans ce roman de Bianca Zagolin, comme des ombres. C’est l’impression qui se dégage de ce second  ouvrage.

Les personnages passent, dans ce roman de Bianca Zagolin, comme des ombres. C’est l’impression qui se dégage de ce second ouvrage de l’auteure (elle signa, en 1988, Une femme à la fenêtre, paru chez Robert Laffont).

Les Nomades raconte l’histoire et les sinueux parcours de quelques hommes et femmes, dont les destins se croisent pour un temps. Ainsi, la première partie, Philippe, raconte la vie de ce garçon coincé entre sa mère, Élisabeth-Marie, et sa grand-mère, Clara. Deux femmes timides, un brin précieuses, et surtout coincées. "Clara et Élisabeth-Marie évitaient les voisins et passaient la tête haute; elles fréquentaient le moins possible les magasins du quartier, préférant se faire livrer leurs provisions à domicile." Refermées sur leur monde, elles cultivent une certaine misanthropie mais prennent soin de laisser un peu d’air à leur protégé, que réconforte autant que faire se peut le grand-père Emmanuel.

Après avoir erré dans plusieurs villes européennes, cette étrange famille ira vivre à Vancouver, et s’enraciner dans une nouvelle vie. Mais leur vrai monde, leur refuge ultime, c’est leur foyer, leur maison, avec ses vestiges et ses vieux meubles, transportés partout où ils vont avec leurs souvenirs. Sur cet empire règnent deux femmes déchues. "Le sort les avait condamnées à une vie désormais sans envergure, à cet espace étriqué où l’on avait dû grouper les fauteuils Louis XV autour d’une table à thé, au lieu de les disposer entre les portes-fenêtres d’une spacieuse galerie. Le noble ameublement, qui dans ses courbes enfermait la durée des siècles, avait échoué entre les murs parfaitement lisses du présent. (…) Dans ce décor de la dissonance, l’exil des choses répondait à celui de l’âme."

Dans la seconde partie du livre (Le Temps des cigales, Adalie rêvée, Chronique en noir et blanc), l’auteure nous raconte la vie d’Adalie, jeune Italienne, ainsi que de sa mère Aurore et de ses soeurs. L’enfance de l’héroïne est marquée par la mort du père; puis, elle partira pour Montréal, suivant sa mère. Adalie et sa famille mènent dans leur nouvelle cité une vie tranquille. Julie, sa soeur, quitte le foyer familial pour aboutir en Arizona; Clélia se marie et tient une pharmacie; Adalie, devenue adulte, gardera la maison familiale et prendra soin de Rajha et Opaline, deux chattes héritées de ses soeurs.

C’est en travaillant à l’hôpital, où elle fait ses apprentissages, qu’Adalie rencontre Philippe, puisque, finalement, les deux histoires se rejoignent. Les deux jeunes gens noueront une relation, aussi énigmatique que le sont leurs passés. Tout d’abord cet engagement d’Adalie: "Pour se livrer, Philippe réclamait d’Adalie la rançon d’une loyauté absolue. En dépit de son sexe, elle prit défense contre toutes les femmes qui n’avaient pas su l’aimer. Elle ne courait aucun risque: elle ne tomberait pas dans les mêmes pièges que les autres; elle serait capable d’amour sans bornes et sans conditions. Bientôt, en plus d’être sa confidente, elle obtint de lui le dernier mot sur tout. Il lui confiait ses textes, ses rêves, ses décisions pour qu’elle en juge."

Malgré quelques beaux moments d’écriture, quelque chose échappe dans cette histoire décousue, elliptique. Les quatre parties du roman auraient peut-être fait quelques bonnes nouvelles, chacune livrant au lecteur une facette de l’histoire. La forme éclatée aurait alors eu plus de sens. Au lieu de cela, on choisit de nous raconter le récit de Philippe, qu’on délaisse ensuite, pour y revenir plus loin. Cela crée un déséquilibre dans la narration, dont on ne retrouve jamais le fil du début; ce problème de structure a aussi pour effet de ne pas donner suffisamment de chair aux personnages, à peine effleurés (et cependant prometteurs). C’est pourtant à travers eux que se révèle leur histoire.

La réflexion sur le déplacement, l’errance, le voyage, le déracinement, comme le titre le laissait présager, ne peut donc pas vraiment se développer.

Reste une écriture bien vivante, poétique, pleine d’images inattendues.

Les Nomades
de Bianca Zagolin
Éd. De l’Hexagone, 2001, 209 p.

Les Nomades
Les Nomades
Bianca Zagolin