Martin Amis : La Foire aux monstres
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Martin Amis : La Foire aux monstres

Si, comme le disait Gide, "c’est avec les bons sentiments qu’on fait la mauvaise littérature", on devrait pouvoir en conclure, a contrario, que Martin Amis en fait vraiment de l’excellente… L’auteur de L’Information n’a pas fait sa réputation pour les émotions tendres ou la compassion dont il investit ses personnages. Mais plutôt pour son cynisme, aussi drôle que noir, sa veine satirique  mordante.

Si, comme le disait Gide, "c’est avec les bons sentiments qu’on fait la mauvaise littérature", on devrait pouvoir en conclure, a contrario, que Martin Amis en fait vraiment de l’excellente… L’auteur de L’Information n’a pas fait sa réputation pour les émotions tendres ou la compassion dont il investit ses personnages. Mais plutôt pour son cynisme, aussi drôle que noir, sa veine satirique mordante.

On s’en convaincra particulièrement en lisant Réussir et Poupées crevées, deux péchés de jeunesse du célèbre écrivain britannique, que Gallimard publie pour la première fois en traduction française. Deux romans qui ont un air de famille sulfureux, provocant, avec leur regard sans concession propre à la jeunesse, et l’insolent talent de caricaturiste qui s’y impose, jouant sur le grossissement des traits et les contrastes.

La plupart des personnages y sont des espèces de monstres. Des monstres de beauté démesurée ou de laideur grotesque, de froide insensibilité ou de cruauté, sur lesquels l’auteur se penche avec le sardonisme d’une déité moqueuse. Même les plus défavorisées de ses créatures trouvent toujours plus faibles qu’elles pour se venger des mauvais coups que la vie leur réserve.

Publié en 1978, Réussir examine les fortunes contraires de deux frangins que tout semble opposer, à commencer par la classe sociale dont ils sont issus. Gregory, le superbe patricien bisexuel, suinte l’arrogance et le mépris de classe. Arraché à son milieu à l’âge de neuf ans, après le meurtre de sa petite soeur par leur père, son frère adoptif, Terry, est un plébéien moche qui s’accroche à un boulot médiocre, et qu’obsède son incapacité récente à attirer les demoiselles dans son lit.

Ce récit à deux voix qui alternent nous fait passer, par d’amusants contrastes, du jour à la nuit: du quotidien fantasmé de l’aristocrate décadent à la petite vie du pleurnichard Terry, chacun poussé au bout de ses stéréotypes. Mais au gré des dissonances qui se font jour entre les deux récits, le lecteur est peu à peu amené à questionner la véracité de leurs dires…

Réussir est une exploration habilement manipulatrice de relations complexes, semées de haine, d’envie, de folie. Le personnage d’Ursula, la petite soeur à la psyché fragile, sacrifiée à l’égocentrisme sexuel de ses frères – finalement aussi corrompus l’un que l’autre – vient apporter une couleur un peu plus grave à cette caricature des caractéristiques de la réussite sociale.

Encore plus gros s’avère le second roman de l’auteur du Dossier Rachel. Les Poupées crevées, ou "bébés morts", pour reprendre le titre de la version originale, c’est l’amour, la compassion ou la fidélité sexuelle, tous ces sentiments obsolètes dont refuse de s’encombrer la jeune communauté libertaire qui emplit, le temps d’un week-end macabre, un ancien presbytère anglais, où rien de ce qui se déroule n’a une odeur très catholique.

Dans ce roman paru en 1975, le jeune auteur de 25 ans se livre à un jeu de massacre à froid. Un théâtre cruel où il observe ses singuliers personnages comme le ferait un scientifique de ses rats de laboratoire. Entre autres, il y a là un Adonis aristocrate, un millionnaire maladif hanté par la terreur de perdre ses dents, un obèse lilliputien qui sert de "nain de cour" et, généralement, de souffre-douleur à la bande; et les membres d’un ménage à trois américain, toujours partants pour de nouvelles aventures sexuelles, et qui ont apporté avec eux une véritable pharmacie, laquelle alimentera les expériences hallucinogènes que vivra le groupe. Poupées crevées est une parodie outrancière de la révolution sexuelle, et de ses velléités libératrices, qui s’achève comme un film d’horreur.

La distance que l’auteur conserve envers ses personnages ne nous permet guère d’être touchés, ou même vraiment remués, en profondeur. Mais avec son imagination inventive, ses effets choquants, ses visions cauchemardesques, et surtout son style flamboyant, impitoyable et brillamment caustique, on ne s’ennuie pas chez Martin Amis.

Réussir, de Martin Amis traduit de l’anglais par Frédéric Maurin, Éd. Gallimard, 2001, 365 p.

Poupées crevées, de Martin Amis traduit de l’anglais par Jean-François Ménard, Éd. Gallimard, 2001, 393 p.

Réussir / Poupées crevées
Réussir / Poupées crevées
Martin Amis