Roger au pays des mots : Jean-Loup Chiflet et Cabu
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Roger au pays des mots : Jean-Loup Chiflet et Cabu

Dans Roger au pays des mots, Jean-Loup Chiflet se moque de notre façon de parler, de nos langages spécialisés, le tout à travers la caricature par le dessin et par le texte.

C’est Jean-Loup Chiflet qui a lancé le fameux Sky My Husband, dans les années 80, livre qui s’est écoulé à 300 000 exemplaires en 15 ans, comme l’auteur le confiait à la revue Lire en janvier dernier. Amoureux des mots et, surtout, des mots d’esprit, Chiflet y a consacré une maison d’édition (Mots et Cie), tout autant lieu de plaisir que de critique. Dans Roger au pays des mots, l’auteur se moque de notre façon de parler, de nos langages spécialisés, le tout à travers la caricature par le dessin et par le texte. Sous les rubriques Roger et les intellos, Roger et l’immobilier, Roger et la bourse, etc., un garçon tout ce qu’il y a de plus ordinaire se fait le "porte-parole des profanes que nous sommes".

BHL à Sollers: "Qu’est-ce que tu aimes chez Bacon?" et l’autre de répondre: "Les oeufs." Après cette divertissante introduction, où l’on nous a montré "Roger attablé à la terrasse d’un café "germanopratin"", Chiflet a mis bout à bout des extraits de critiques littéraires pour créer une parodie de la critique. Ça fait son effet, mais avouons que c’est un peu facile. Prenez plusieurs textes, en art contemporain par exemple, mélangez-les et voyez le résultat: cela ne veut plus rien dire.

Chiflet s’en prend également à la langue de bois des politiciens, au langage impénétrable des banques, au politiquement correct. Pour les Québécois, vivant en Amérique et confrontés depuis longtemps aux expressions hallucinantes que nous ont imposées nos voisins ("personne à mobilité réduite" pour "handicapé", par exemple), ce n’est plus tellement nouveau ni même drôle.

En revanche, Chiflet fait réfléchir sur l’absurdité de ces langages spécialisés, qui finissent par engendrer de véritables ghettos dans lesquels s’enferment les internautes (Roger au cybercafé), les rockers (Roger au concert de rock), les milieux scolaires (Roger à l’école), etc. Chacun s’emmure dans son monde de codes, de signes, et celui qui n’en fait pas partie n’y comprend plus rien.

Bien sûr, Chiflet est français; il tire donc sur la féminisation du langage, changement que les Québécois (pris à partie par ailleurs dans le livre de Chiflet) ont commencé à intégrer depuis longtemps et sans traumatisme majeur. Comme prévu, les Français ont bien du mal à avoir affaire à une pompière adjudante, mais bizarrement, on s’accomode très bien de la boulangère. Enfin, voilà bien un débat dépassé.

Éd. Mots et Cie, 2001, 87 p.