Une vie merveilleuse : Laurie Colwin
Troisième roman de Laurie Colwin à paraître chez Autrement, après Frank et Billy et Accidents, Une vie merveilleuse est une savoureuse chronique de la vie ordinaire, écrite avec une grande justesse et un humour extrafin.
On le sait, les hommes viennent de Mars et les femmes de Vénus, et l’écart s’aggrave encore davantage s’ils ont la trentaine et sont célibataires. Helen Fielding nous a drôlement bien démontré le phénomène, tel que vu et vécu par sa Bridget Jones, prototype de la fille rdinaire qui attend la venue de son prince dans un monde qui n’a plus rien de charmant.
Avec Une vie merveilleuse, l’Américaine Laurie Colwin s’est elle aussi amusée à dépeindre les tourments du coeur qui aspire à la plénitude amoureuse, avec un peu plus de finesse et de subtilité, mais pas moins de drôlerie. Et, en empruntant cette fois le point de vue de l’homme, qui est tout autant dépourvu, on le verra, devant l’insondable mystère que représente l’autre. Voici donc Guido et Vincent, deux cousins, deux amis depuis toujours, deux beaux jeunes New-Yorkais gâtés, élevés à l’abri des soucis financiers, fils de bonnes
familles à l’avenir assuré, à qui il ne manque, pour être véritablement heureux, que la Femme de leur Vie.
Or, la femme idéale, belle, célibataire, assez mûre pour entreprendre l’aventure conjugale, ne court pas les rues de New York. Et quand ils finiront par la trouver, Guido et Vincent devront bien reconnaître que l’amour n’est pas si simple qu’ils l’avaient toujours cru; et que la réalité diffère grandement de ce à quoi ils avaient rêvé. Misty, de qui Vincent est tombé sous le charme rebelle, vient d’une famille d’immigrés "qui a fui devant l’armée du tsar, s’est fait casser la tête sur des piquets de grève, et n’a jamais dormi tranquillement nulle part". Voilà pourquoi elle avance dans la vie blindée, comme un char d’assaut, prête à encaisser les pires coups, et qu’elle considère avec la plus grande méfiance la gentillesse attentive de Vincent. Leur première nuit n’aura d’ailleurs rien de l’ébat torride que celui-ci avait imaginé. "Vincent ne souleva pas Misty de terre. Elle ne fondit pas dans ses bras en
Disant "prends-moi, je suis tout à toi". Ils ne se saoulèrent pas avant d’arracher les couvertures. (…) Ils firent tous deux semblant de ne pas remarquer que les mains de l’autre tremblaient." Quant à Molly la magnifique, l’élégante, la raffinée, qui représente aux yeux de Guido la perfection même, elle cultive jalousement l’un de ces jardins secrets tant redoutés par certains hommes (dont Guido, évidemment), et réclame le droit de partir à
l’occasion pour "prendre du recul" et "faire le point" sans donner d’explications ni de date de retour, au profond désespoir de Guido pour qui l’amour est avant tout affaire de fusion. La vie merveilleuse à laquelle tous aspirent sera donc faite de petits et grands compromis, de désenchantement, d’acceptation, de détachement, et de temps.
Troisième roman de Laurie Colwin à paraître chez Autrement, après Frank et Billy et Accidents, Une vie merveilleuse est une savoureuse chronique de la vie ordinaire, écrite avec une grande justesse et un humour extrafin. L’un de ces romans dans lesquels on
se retrouve, qui collent à la vie, la vraie, celle qui n’est pas toujours drôle, mais qui, sous la plume de Colwin, nous semble soudain beaucoup plus douce.
Traduit de l’américain par Anne Berton. Éd. Autrement, 2001, 238 p.