À ce soir : Laure Adler
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À ce soir : Laure Adler

À ce soir est un livre qui vous remue le coeur, comment pourrait-il en être autrement? C’est un livre triste mais magnifique, écrit dans une langue belle, sans artifices, sans lyrisme, que les mots les plus simples et les plus vrais.

"Je ne suis pas romancière, mais historienne", affirmait Laure Adler dans une entrevue donnée à L’Express. Je n’ai jamais pensé que je saurais utiliser les mots pour exprimer quelque chose de personnel – je ne l’ai jamais souhaité, d’ailleurs." Il a donc fallu qu’un événement déterminant survienne pour que la journaliste, l’auteure de l’essai Les Femmes politiques et de la biographie de Marguerite Duras, ressente soudain non pas l’envie, mais le besoin urgent d’écrire sur le drame personnel qui a bouleversé sa vie. Il a fallu un hasard, un accident de voiture, terrible, pour que s’ouvre une brèche dans le souvenir jusque-là cadenassé.

"J’entends le hurlement, raconte Laure Adler dans les premières pages d’À ce soir. Ne vois rien mais comprends que c’est la fin. Une douceur inhabituelle s’empare de moi. Suit une sensation d’abandon délicieuse. Je sais que je consens. Je lâche tout. M’étonne simplement que cette chose-là à laquelle j’ai tant pensé surgisse maintenant, dans cette lumière d’une journée qui commence."

Cette chose-là, à laquelle elle a tant pensé depuis tant d’années, c’est la mort, bien sûr. Celle de son fils Rémi, survenue 17 ans auparavant, jour pour jour. Un bébé mort à neuf mois, de causes obscures, confuses, encore inexpliquées. Une mère qui ne se pardonnera pas de n’avoir rien pu faire pour l’aider. La douleur, l’hébétude, l’incompréhension, la culpabilité. Des termes effrayants assenés par des médecins impuissants.

"Détresse respiratoire", "fausse route", puis, ultimement, "mort subite". Des changements infimes et blessants dans l’attitude des gens, des gestes anodins, mais cruels. L’employé du commissariat qui, au renouvellement de son passeport, enlève le nom de son fils mort. Le souvenir, aussi, des moments de bonheur avec Rémi. Et la certitude que rien n’efface la douleur, que ceux qui disent que le temps en vient à bout mentent assurément, et que c’est Baudelaire qui avait raison. "Je n’écris pas pour me souvenir, répétera-t-elle. Je n’écris pas pour apaiser la douleur. Je sais depuis dix-sept ans que la douleur est et demeurera ma compagne. Je vis avec elle. Je la tiens en laisse. Quelquefois elle me bouscule et me fait tomber. Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille…"

À ce soir est un livre qui vous remue le coeur, comment pourrait-il en être autrement? C’est un livre triste mais magnifique, écrit dans une langue belle, sans artifices, sans lyrisme, que les mots les plus simples et les plus vrais. C’est un partage, une réflexion, un exutoire peut-être, mais ce n’est "pas un récit", ainsi que l’affirme Laure Adler. "C’est une tentative de raccommodement avec le monde."

Un monde auquel elle offre cette écriture franche mais jamais impudique, une écriture qui, et c’est là la grande réussite de Laure Adler, jamais ne nous donne la détestable sensation d’être les voyeurs d’un drame intime, mais bien davantage celle de partager une souffrance universelle.

Éd. Gallimard, 2001, 185 p.

À ce soir
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Laure Adler