La Bible et la littérature : Au commencement était le verbe
Tous les profs le disent à leurs étudiants: si vous voulez faire de la littérature, lisez la Bible! Best-seller mondial toutes catégories, la Bible irrigue toutes nos littératures. Nous avons demandé à quelques écrivains ce qu’elle représentait pour eux.
"La foi, moi, je crains de ne pas l’avoir, hélas!, mais j’aime lire la Bible." Tout comme l’écrivain Sylvain Trudel, qui tient ces propos, bon nombre d’auteurs, même athées, voient dans les textes sacrés sinon des matériaux littéraires à exploiter, du moins de précieuses pistes de réflexion sur le genre humain. "Quand j’ouvre la Bible, je ne suis jamais à la recherche de Dieu, mais à la recherche de l’Homme", poursuit l’auteur du Souffle de l’harmattan.
Sylvain Trudel voit dans les écrits bibliques un inventaire exhaustif de nos grandeurs et de nos petitesses. "Comme la mythologie grecque, la Bible a été patiemment élaborée au fil des siècles, de sorte que ses multiples auteurs ont eu tout le temps nécessaire pour examiner l’homme jusqu’au tréfonds, pour colliger ses défauts innombrables et pour composer ensuite des récits édifiants qui proposent une solution à tous les malheurs: la foi en Dieu."
S’il apprécie la puissance d’évocation de certains passages de la Bible, leur façon d’exprimer l’essentiel des aspirations humaines, l’écrivain se préoccupe peu de la véracité ou de l’aspect historique des textes. Des pans tout entiers lui inspirent un profond scepticisme. "Le Nouveau Testament m’a toujours un peu agacé, confesse-t-il, et je le lis peu (L’Apocalypse et quelques épîtres de Paul exceptées). Je ne nie pas l’existence historique de Jésus; mais le problème, c’est que, s’il a été un puissant philosophe, Jésus n’a rien écrit (sauf une fois quelques mots sur le sable, mais que personne n’a lus [Jean, 8,6]), ce qui a pu donner libre cours à quelques affabulations. Je soupçonne d’ailleurs les auteurs du Nouveau Testament d’avoir tarabiscoté l’histoire de Jésus."
Les clés du savoir
Pour Marie-Andrée Lamontagne, journaliste, romancière, poète et collaboratrice à la nouvelle traduction du livre des livres, "l’histoire de la Bible se confond avec l’histoire de la traduction". En effet, l’hébreu est une langue simple, infiniment moins précise que le français, et sa traduction implique inévitablement l’interprétation. Au fil des siècles, la traduction a été teintée au gré des dogmes religieux.
Comme auteure, celle qui a traduit l’Évangile de Matthieu a réalisé mieux que jamais la formidable pluralité des textes bibliques. "Je connaissais déjà bien certains textes, le très beau Cantique des cantiques par exemple, mais c’était la première fois que je prenais la mesure de l’ouvrage. La Bible comporte des textes d’une exceptionnelle diversité stylistique. La traduction que l’on en fait doit refléter ça."
L’expérience a aussi rendu Marie-Andrée Lamontagne encore plus sensible aux échos bibliques à travers l’histoire des arts. "Je percevais déjà plusieurs liens, mais tout ça est devenu plus évident que jamais. L’un de nos objectifs, d’ailleurs, était de fournir des clés, de permettre une meilleure compréhension de notre héritage culturel. Par exemple, quand on regarde un tableau de Nicolas Poussin comme L’Hiver, dans la série des Quatre Saisons, tableau qui évoque le Déluge, on ne peut en saisir toute la portée sans connaître la référence biblique. Même chose pour Moby Dick, le roman de Herman Melville. Achab, le capitaine et personnage principal, renvoie clairement au roi d’Israël du même nom, obsédé par le pouvoir et la domination."
Toujours la même histoire
L’écrivain, journaliste, professeur et grand lecteur Gilles Marcotte s’est plongé dans cette nouvelle traduction dès qu’il a mis la main dessus. Il faut dire qu’il entretient, depuis longtemps, une relation riche avec la Bible. "Par exemple, je suis très touché par le Livre de Job, dans l’Ancien Testament. Cette relation d’un homme avec son Dieu, presque d’égal à égal, m’interpelle particulièrement."
Certains des textes, dont l’Évangile de Matthieu réécrit par Marie-Andrée Lamontagne, justement, lui paraissent tout à fait réussis, non seulement actualisés mais enrichis. "Il se trouve que l’archaïsme et le modernisme vont très bien ensemble. On peut penser aux masques nègres, qui ont profondément influencé l’art moderne; le mariage de textes anciens avec une approche littéraire contemporaine peut avoir un tel intérêt."
Gilles Marcotte souligne aussi que nos rapports avec la Bible sont grandement influencés par le cadre socioculturel. "La Bible a été lue en anglais bien davantage qu’en français, par exemple. Celle-ci a d’ailleurs été interdite aux catholiques, à une certaine époque. Chose certaine, les liens entre la Bible et la littérature anglo-saxonne sont différents; le livre saint y exerce sans doute des répercussions plus importantes encore. Mais la Bible est partout présente. Northrop Frye, dans son livre The Great Code, en fait d’ailleurs la matrice de toute la littérature occidentale."
De près ou de loin, tous les écrivains sont héritiers de la Bible. Le croyant y interroge les visages de Dieu tels que perçus par l’homme au fil des siècles; l’athée s’intéresse à toutes les histoires et figures engendrées par l’"invention" de ce Dieu, et par conséquent aux besoins profonds de l’être humain.
La Bible – nouvelle traduction
Une nouvelle traduction de la Bible, mais pourquoi donc? Eh bien, parce que les traductions existantes, dont la dernière remonte à quelque 30 ans, donnent un peu l’impression que la Bible a été écrite par un seul auteur, ce qui est loin d’être le cas. Né en 1994 d’une discussion entre l’exégète Marc Sevin et l’éditeur Frédéric Boyer, l’ambitieux projet a réuni 27 exégètes et 20 écrivains, dont 14 Québécois, qui ont travaillé en étroite collaboration afin de respecter l’essence des textes sacrés, bien sûr, mais aussi la pluralité des genres de ce livre, ou plutôt de ces livres (la Bible en compte 73), dont la rédaction s’est échelonnée sur près de 1000 ans. Sans la moindre tentation dogmatique (dans l’équipe de traduction, se sont côtoyés catholiques, juifs, protestants, croyants et athées!), les auteurs ont insufflé poésie et sensibilité à cette Bible polyphonique, toujours sous l’oeil averti des exégètes. L’occasion de redécouvrir un texte fondamental, d’une intemporelle actualité.
Éd. Médiaspaul et Bayard, 2001, 3170 p.