Le Château : Georges-Hébert Germain
Livres

Le Château : Georges-Hébert Germain

Pour tout natif de Québec qui se respecte, le Château Frontenac est beaucoup plus que la signature distinctive de la Vieille Capitale sur les cartes postales.

Pour tout natif de Québec qui se respecte, le Château Frontenac est beaucoup plus que la signature distinctive de la Vieille Capitale sur les cartes postales. Quiconque a déjà musardé dans son lobby un samedi soir, exploré ses couloirs biscornus, ou "brunché" dans sa somptueuse salle à manger à Pâques, a l’impression que le Château est intimement lié à son histoire personnelle, qu’il lui appartient un peu. Partie intégrante du patrimoine de la ville, le Château est l’un des notables les plus importants de la fière cité.

Pas étonnant, donc, que Georges-Hébert Germain en ait fait le personnage principal de son nouveau bouquin. Après Guy Lafleur et Céline, l’auteur-journaliste s’attaque donc à une autre célébrité québécoise. Le bel hôtel construit en 1893 devient un témoin de son époque dans ce roman qui retrace sa riche histoire, mais aussi celle de la vieille ville, du cap Diamant, et l’évolution de la société québécoise. Un bien curieux livre, indéfinissable, à la croisée du roman historique, du document journalistique, de la saga populaire et du conte de fées!

Georges-Hébert Germain a choisi en effet – ce qui n’est pas inintéressant en soi – de raconter la grande et la petite histoire du Château à travers le point de vue des plus humbles et des plus obscurs de ses habitants. Son héroïne est une jeune femme de chambre vivant dans l’aile de service du Château, petite employée invisible qui rêve de devenir l’une de ces princesses, de ces Américaines qui entrent à l’hôtel par la grande porte. La douce Odile, belle Beauceronne en quête du bonheur, son frère François, l’éternel révolté, et leurs proches amis traversent les décennies jusqu’à nos jours sans dépasser l’âge magique de 20 ans…

Un brin nostalgique d’un âge d’or où le Château Frontenac organisait de fastueuses fêtes et était le point de mire de l’Amérique riche – à l’époque où Québec était une ville cosmopolite! -, le roman se fait aussi critique devant le symbole de colonisation que l’hôtel érigé par les richissimes anglophones du Canadien Pacifique, a longtemps incarné, dans cette ville double par excellence qu’est Québec, divisée entre Haute et Basse-Ville. Une sympathie manifeste pour les aspirations des petites gens cohabite donc avec une fascination pour les hôtes les plus glamour du castel, de Lindberg et Ian Fleming à Churchill et Roosevelt. Germain se permet même d’emprunter quelques personnages fictifs à d’autres auteurs, par exemple Guillaume Plouffe, ou encore le héros des Demi-Civilisés de Jean-Charles Harvey.

Une époque, un décor que l’auteur de Souvenirs de Monica fait vivre plutôt bien. Mais l’intrigue semble souvent subordonnée à l’Histoire ou à la description du Château, dont Germain nous fait découvrir les plus obscurs "racoins". D’où certains passages qui semblent un peu obligés. Malgré sa nature guère romanesque, la partie historique, bien documentée, est pourtant l’aspect le plus intéressant du livre, davantage que les tribulations, souvent assez convenues, d’Odile et compagnie.

Voilà en tout cas une oeuvre fort hybride: ici, l’auteur n’hésite pas à abandonner ses personnages dans une situation périlleuse pour intercaler dans l’intrigue un chapitre au contenu purement historique. Là, il se laisse mener par un récit fleur bleue, avec une prose légèrement naïve plutôt digne des sagas populaires.

Bref, le Château Frontenac devient ici une sorte d’auberge… espagnole, dont on goûtera très inégalement les diverses composantes.

Le Château
Éd. Art Global, 2001, 386 p.