Patrick Sénécal : Mauvais genre
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Patrick Sénécal : Mauvais genre

Vedette dans le milieu des "paralittératures" au Québec, méconnu du grand public, PATRICK SÉNÉCAL pratique avec brio un genre mal-aimé: le thriller d’horreur. Âmes sensibles,  s’abstenir.

Selon Norbert Spehner, auteur du Roman policier en Amérique française, Patrick Sénécal serait, "hors de tout doute, l’un des maîtres du roman fantastique québécois". En 1998, Voir classait son roman Sur le seuil au Top-5 de la catégorie Thriller, horreur, SF. "Patrick Sénécal réussit là où bien des auteurs d’horreur, de nos jours, échouent, écrivait Christine Fortier en ces pages. Il maintient le lecteur dans un état proche de la transe." "Sans imiter le style de King, avançait-on dans Québec français, il parvient à susciter autant d’intérêt que le maître de l’horreur américain."

Pourtant, pour la majorité des lecteurs, le nom de Patrick Sénécal est encore inconnu. C’est que le genre qu’il pratique, où se mêlent horreur, thriller et fantastique, n’a pas que des adeptes. En plus de tous ces lecteurs qui n’ont tout simplement pas envie de plonger dans un monde où règnent souffrance, violence et malédictions, il y a tous ceux et celles, nombreux, qui cultivent de tenaces préjugés sur ce qu’ils considèrent comme n’étant tout simplement pas de la littérature.

Sénécal, la jeune trentaine, professeur de littérature et de cinéma au Cégep de Drummondville, est bien conscient du dédain que s’attire ce que certains appellent la paralittérature. "Dans les universités, dit-il, c’est complètement méprisé. Je le sais, j’ai étudié la littérature française à l’Université de Montréal. Si Jean Larose lisait ce que j’écris aujourd’hui, il serait découragé! Je serais un échec pour lui!"

Qu’à cela ne tienne, par-delà les éternelles querelles de clans, Patrick Sénécal poursuit sa voie, envers et contre tous. Depuis 1995, l’auteur a publié des nouvelles et quatre romans déstabilisants, très noirs, d’une violence parfois insoutenable, qui exposent sans ménagement les pires facettes de l’être humain. Et il le fait avec talent. Avec un sens inné du suspense, sans jamais négliger la psychologie de ses personnages, et sans jamais tomber dans le machiavélisme primaire. Dans les romans de Sénécal, il n’y a pas les bons d’un côté et les méchants de l’autre. "On est dans une société qui voudrait tellement pouvoir définir les choses clairement, dit-il, qui voudrait tant pouvoir dire qu’il y a le bien d’un côté, et le mal de l’autre. Bush essaye de nous faire croire à ça! C’est exactement quand on est convaincu qu’on fait le bien, que tout peut dérailler."

C’est arrivé près de chez vous
Publié d’abord en 1995 aux Éditions Guy Saint-Jean, puis épuisé, et réédité par les éditions Alire dans une version entièrement revue par l’auteur, 5150, rue des Ormes met justement en scène les déraillements qui guettent ceux qui ne doutent plus. Le roman raconte, sous forme de journal, la descente aux enfers de Yannick Bérubé, un jeune étudiant qui s’apprête à entreprendre des cours à l’Institut littéraire de Montcharles, où il vient tout juste de déménager. Pendant les quelques jours qu’il lui reste avant le début des classes, il se balade à vélo à travers les rues de sa nouvelle ville, en pensant à ses parents et à sa blonde qu’il reverra tous les week-ends. Soudain, rue des Ormes, il fait une chute, et se voit obligé d’aller demander de l’aide au 5150. C’est là que commence son cauchemar.

5150, rue des Ormes est ce qu’on appelle un "page turner". Malgré l’horreur de certains passages, malgré la violence, malgré la démence qui gagne les personnages, on ne peut tout simplement plus s’arrêter une fois le roman commencé – il faut le lire pour le croire. Aussi sûrement qu’il le faisait dans Sur le seuil (Alire, 1998), Sénécal nous tient captifs, bien malgré nous.

"Les gens aiment être horrifiés, constate l’auteur. Ils aiment être horrifiés tout en étant en sécurité, avoir peur en restant assis dans leur fauteuil. Ça leur donne l’impression de vivre l’horreur sans la vivre personnellement, de vivre des sensations par procuration." Mais c’est aussi un exutoire pour celui qui écrit, reconnaît-il aussi. "Les psychopathes me fascinent. La folie me fascine. Je sais que c’est un monde épouvantable, un monde où règne le chaos, je ne voudrais pour rien au monde m’en approcher; mais en même temps, ça m’attire, je n’ai jamais pu y échapper. Ce qui me fascine, c’est la partie sombre de l’être humain, le côté noir qui sommeille en chaque personne."

Un ami qui vous veut du bien
Né en 1967 à Drummond, élevé dans une "petite famille tranquille", par des parents qui n’auraient jamais imaginé que leur fils pouvait devenir écrivain, Patrick Sénécal a toujours ressenti cet attrait pour le côté obscur du coeur. "Quand j’avais environ neuf ans, se rappelle-t-il, j’avais un voisin, plus vieux de trois, quatre ans, qui écoutait tous les films d’horreur qui jouaient à la télé la nuit. Les lendemains, il me racontait tout, et ça me fascinait. Tous ces films que je n’avais pas le droit d’écouter, je les imaginais dans ma tête. Et je crois que c’est là que tout a commencé."

Sénécal s’est mis à écrire des choses "macabres" vers l’âge de 12 ans. "J’étais, comme beaucoup d’ados, fasciné par l’horreur, l’interdit, les sensations fortes. Je me rends compte aujourd’hui que le risque, quand on écrit de l’horreur, c’est justement de faire juste de l’horreur. Et je fais très attention à ça. Quand il y a une scène d’horreur, c’est vrai, j’y vais fort. Je veux secouer. Mais je ne veux pas faire du gore Les Friday the 13th, les Freddy, ce qu’on appelle les horror teanage movies, avec des personnages sans histoire, sans troubles psychologiques, ça ne m’intéresse pas." Le problème, regrette-t-il, c’est que malheureusement on associe presque toujours le genre à ces films-là.

"Mais il y a aussi de bons romans d’horreur, soutient Sénécal. Des romans où la principale préoccupation n’est pas l’horreur. Les vieux romans de Stephen King, par exemple, ceux de Jean Ray, ou d’Edgar Allen Poe. Pour moi, résume-t-il, un bon roman d’horreur est un roman qui doit mettre mal à l’aise. C’est un roman qui ne rassurera pas le lecteur, qui va se terminer en le laissant inquiet, sur des interrogations sur le mal, l’horreur, la souffrance, la folie, la frontière très mince entre l’équilibre et le déséquilibre mental, l’inquiétante cohérence existant dans le discours de certains fous. Ce qui me fait le plus peur, en ce qui me concerne, ce ne sont pas les monstres, les loups-garous ou les vampires: ce sont les êtres humains."

Le prochain roman, bien entamé, prévu pour 2002, sera plus près du polar, et soulèvera la question, on ne peut plus actuelle, de la légitimité de la vengeance; en attendant, les lecteurs de Sénécal seront heureux d’apprendre que l’adaptation cinématographique de Sur le seuil est terminée, que l’auteur et son coscénariste et réalisateur Éric Tessier ont signé avec une maison de production, et que le projet se concrétise de jour en jour. Si tout se passe comme prévu, Sur le seuil pourrait bien devenir le premier grand film d’horreur québécois.

5150, rue des Ormes
de Patrick Sénécal
Éd. Alire, 2001, 367 pages

5150, rue des Ormes
5150, rue des Ormes
Patrick Senécal