Planet Twist : Grégoire Bouchard
Une bande dessinée racontant l’ascension et la chute des Jaguars, groupe populaire qui a marqué le Québec des années 60? C’est l’idée, a priori complètement folle, qui a longuement habité la tête de Grégoire Bouchard et qui a abouti à la réalisation d’un fort bel album, sorte d’hymne à l’esthétique kitsch: Planet Twist.
Une bande dessinée racontant l’ascension et la chute des Jaguars, groupe populaire qui a marqué le Québec des années 60? C’est l’idée, a priori complètement folle, qui a longuement habité la tête de Grégoire Bouchard et qui a abouti à la réalisation d’un fort bel album, sorte d’hymne à l’esthétique kitsch: Planet Twist.
Né en 1965, l’année de la dissolution des Jaguars, Bouchard est resté marqué, c’est le moins qu’on puisse dire, par la culture populaire des années 50 et 60, par la musique pop, les comic books américains et les séries télé telles que Fusée XL5, Perdu dans l’espace et Voyage au fond des mers. "En ce temps-là, rappelle-t-il dans sa préface, Mars était habitée par des octopoïdes visqueux et Vénus était couverte d’épaisses jungles humides et nauséabondes. Le costume trois pièces régnait en maître sur le monde occidental, […] les chanteurs rebelles portaient la cravate et ressemblaient à de dociles vendeurs d’aspirateurs."
Avec leurs vestons tachetés à l’image du félin dont ils portaient le nom, les Jaguars répondaient à ce signalement. Tels d’autres groupes apparus au Québec avec la vague yé-yé (on pense aux inoubliables Classels et à César et les Romains), le quatuor, né en 1961 dans un sous-sol d’Arvida, connut son heure de gloire jusqu’en 1965. À cette date, explique Bouchard, l’esthétique psychédélique et le "totalitarisme hippie" mirent prématurément fin à tout un courant musical.
La première partie de l’album retrace la popularité grandissante du groupe, avec cette narration hyperbolique qui semble parodier celle de l’émission Musicographie, en s’attachant à la figure centrale d’Arthur Cossette, leader de la formation. On y trouve le Montréal de cette époque, dominée par l’affichage en anglais et le show-business à l’américaine, et Bouchard y excelle dans l’illustration de la mode du temps, rendant une foule de détails: publicité, vêtements, coiffures, automobiles, mobilier et technologie, comprenant les fameux juke-boxes et les microsillons 33 tours.
La seconde partie apparaîtra totalement délirante à tous ceux qui n’ont pas connu la BD, les dessins animés et les séries télé des années 50 et 60. Décrivant la dérive des membres de la formation, mais surtout de Cossette, qui se produisit dans divers autres bands durant les années 70 et 80, Bouchard choisit de nous représenter ces deux décennies, non pas telles qu’on s’en souvient aujourd’hui, mais comme on les anticipait dans la culture populaire de l’époque précédente: un monde où on se vêtirait de combinaisons une pièce avec épaulettes aérodynamiques, où les robots nous serviraient de domestiques et où la conduite automobile laisserait place à celle de mono-fusées. Ainsi les Jaguars quittent-ils à bord d’une espèce de soucoupe volante l’astrostade de Trois-Rivières où ils sont venus se produire le temps d’un bref come-back en juillet 1985.
Une telle oeuvre ne pouvait que paraître en couleurs (réalisées par l’auteur), lesquelles sont essentielles à l’ambiance du tournant des fifties où dominaient le clinquant et les teintes vives. La composition et la conception graphique du livre, fort attrayantes et rappelant les premiers comic books, contribuent également à faire de Planet Twist un bel objet, à la fois hommage et souvenir de cette époque inventive. Pour tous les nostalgiques.
Éd. Mille-Îles, collection " Zone convective ", 2001, 62 p.