Cosmétique de l’ennemi : Stupeur et tremblement
Peut-être qu’un lecteur qui ne connaîtrait pas Nothomb, découvrirait du neuf avec ce roman, Cosmétique de l’ennemi: mais pour qui a fréquenté l’oeuvre, il y a redite dans la forme et dans le fond.
Amélie Nothomb
écrit des romans originaux, cela ne fait pas de doute. Depuis Hygiène de l’assassin (paru en 1992), elle excelle dans le genre de l’opposition, de la joute oratoire, qui permet à deux personnages de s’affronter et avec eux leur principes, leur intelligence, leur morale. C’est encore le cas dans Cosmétique de l’ennemi, qui, après d’autres livres comme Les Catilinaires, remet en scène le duel comme les aime l’auteure.
Dans ce neuvième roman, un voyageur, Jérôme Angust (dont le nom renvoie au latin: angustia, qui veut dire angoisse), attend son vol dans une salle d’attente d’aéroport, quand un énergumène, Textor Textel, vient le déranger. " – C’est assommant, n’est-ce-pas, ces retards d’avion? – Oui, marmonna-t-il. – Si au moins on savait combien d’heures on allait devoir attendre, on pourrait s’organiser." Et l’intrus se met à deviser sur la lecture, sur les voyages d’affaires qui ne sont pas de vrais voyages, sur les contrariétés de l’existence, etc. Tout cela fatigue et exaspère Jérôme. Car en plus d’être importuné, il doit écouter les confidences intimes de son intelocuteur. Textel lui raconte ses origines hollandaises, ses misères de petit garçon, lui qui a mangé de la nourriture pour chats; il confesse aussi qu’il a tellement prié Dieu pour que meure son ennemi d’enfance que son souhait s’est réalisé. Un hurluberlu? L’affaire se corse lorsque Texel lui confie aussi qu’il a violé une femme dans un cimetière, victime qu’il a achevée, 10 ans plus tard, après l’avoir traquée et qui s’avère être la défunte épouse de Jérôme.
C’est le pivot du roman, moment au cours duquel la conversation banale et triviale bascule dans le piège: Angust angoisse, lui qui est aux prises avec un fou, un détraqué qui risque de le tuer lui aussi. C’est sans compter le sens du burlesque (ici, c’est du Grand-Guignol!) propre à Amélie Nothomb; celle-ci résout son intrigue par un punch, dont on se bornera à dire qu’il concerne l’ennemi intérieur que nous portons en chacun de nous.
Cosmétique de l’ennemi répète plusieurs des sujets fétiches de l’auteure: la morale, le bien et le mal ("J’imagine que vous êtes contre le vol; il n’empêche que, si vous tombiez sur une mallette pleine de dollars, vous ne seriez pas assez stupide pour ne pas la prendre."), le retour du refoulé, qui nourrissent la plupart de ses ouvrages.
Peut-être qu’un lecteur qui ne connaîtrait pas Nothomb découvrirait du neuf avec ce roman: mais pour qui a fréquenté l’oeuvre, il y a redite dans la forme et dans le fond. L’écriture, au service d’une histoire tirée par les cheveux, ne sauve pas l’entreprise; l’humour est plat et l’ironie, molle (d’où le titre de cet article!…) L’originalité propre à Nothomb n’a plus cours dans ce livre qu’on à l’impression d’avoir déjà lu. Peut-être la jeune romancière a-t-elle fait le tour de son sujet?
Éd. Albin Michel, 2001, 144 p.