Gilbert Dupuis : Aux frontières du réel
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Gilbert Dupuis : Aux frontières du réel

Pour souligner la parution de La Chambre morte, troisième volet de sa trilogie romanesque, GILBERT DUPUIS conviait les Montréalais à une performance littéraire hors norme, qui avait pour cadre des lieux bien connus de la Métropole. L’auteur pose la question de l’heure: l’art peut-il changer le monde?

Du 28 au 30 septembre, les Montréalais ont assisté à des scènes pour le moins étonnantes. À la Bibliothèque centrale, par exemple, un concert de voix s’élevait dans cet espace d’ordinaire silencieux, faisant résonner haut et fort les mots de Gilbert Dupuis. L’écrivain, qui vient de clore, par La Chambre morte, la trilogie amorcée avecGilbert Dupuis. L’écrivain, qui vient de clore, avec La Chambre morte, la trilogie amorcée avecGilbert Dupuis. L’écrivain, qui vient de clore, avec La Chambre morte, la trilogie amorcée avec L’Étoile noire (VLB, 1996) et poursuivie avec Les Cendres de Correlieu (VLB, 1998), voulait susciter des réponses à la grande question qui sous-tend l’ensemble de son travail: l’art peut-il encore transformer le monde?

"Dans mes romans, l’oralité occupe une place très importante, souligne l’auteur. Par la parole, mes personnages font revivre les poètes, depuis Homère jusqu’à Gaston Miron; ils transmettent tout un héritage culturel. Cette performance de trois jours achève le projet d’une belle façon, soit dans l’oralité, disait-il quelques heures avant le coup d’envoi de la prestation. L’idée du texte écrit qui redevient oralité me plaît beaucoup. C’est un peu comme lancer des phrases au ciel, puis observer ce qui retombe."

Livre ouvert
Empruntant au roman historique autant qu’au thriller, puisant dans plusieurs oeuvres littéraires, les romans de Gilbert Dupuis appartiennent à la fiction mais entretiennent un rapport étroit avec la réalité (dans cette rocambolesque aventure, on voit apparaître les Henri Tranquille, Claude Gauvreau et tant d’autres). Pendant quelques minutes, les participants à la performance allaient devenir en quelque sorte personnages, le temps de questionner eux aussi le rôle de l’art dans la société. À l’instar de Mazarine Renaud, héroïne de La Chambre morte, ces derniers allaient dire à leur manière combien sont précieux les fruits de l’imaginaire.

Mise en scène par Alain Fournier, l’activité s’inscrivait dans la programmation des Journées de la culture. Chaque jour, Gilbert Dupuis lisait un de ses trois romans à voix haute, commençant sa lecture à l’aube, au pied de la tour-bibliothèque de l’Université de Montréal, pour ensuite se diriger vers l’un des trois lieux où allait se poursuivre la performance: la Bibliothèque centrale, le Musée des beaux-arts ou le clocher de l’UQAM. Une quarantaine de lecteurs invités, dont Chloé Sainte-Marie, Jean-Paul Daoust et Pierre Graveline, allaient ponctuer la lecture de leurs réflexions, qui prenaient parfois une forme théâtrale ou musicale.

Quelles réponses au juste espérait Gilbert Dupuis, lui qui vient d’écrire des centaines de pages sur le sujet? "Le roman n’apporte pas de réponses comme telles, il ne fait que poser la question avec insistance, en questionnant les rapports que l’on entretient avec l’art, les choses que l’on croit acquises dans ces rapports. C’est le panorama composé des témoignages de tous les invités qui m’intéressait. Mes réponses à moi, elles se traduisent dans la pratique."

Je me souviensJe me souviensJe me souviens
À l’origine du projet, il y avait l’idée de revisiter la modernité québécoise. Dans La Chambre morte, Mazarine et ses amis sont nourris par les travaux des Borduas, Riopelle, Ferron et les automatistes, ou encore ceux de Pierre Perrault. "Je voulais célébrer nos héros par un travail de la mémoire, explique Gilbert Dupuis. Nous oublions facilement, trop facilement. Nous oublions le frère Marie-Victorin, Olivar Asselin… Nous parlons souvent de Refus global, mais sans approfondir. Refus global qui, dans sa charge subversive, avait une portée formidable. On oublie entre autres l’aspect précurseur de cette démarche qui faisait autant de place aux femmes qu’aux hommes et qui, par ailleurs, représentait probablement la première activité "multimédia" du Québec."

Gilbert Dupuis fait revivre ces artistes qui ont posé avec acuité la question du rôle de l’art dans notre société, apportant, par leurs tableaux et écrits, des pans de réponses. Et loin de se contenter des réponses du passé, il provoque celles d’aujourd’hui. La récente performance, marquée par plusieurs temps forts (il fallait entendre l’émouvant témoignage de Louisette Dussault ou les chansons de Chloé Sainte-Marie), ne sera d’ailleurs pas sans lendemain. Durant la prochaine année, Gilbert Dupuis va retranscrire ses trois romans à la main, en y intégrant – il a du pain sur la planche! – les réponses fournies durant l’activité. Le tout sera présenté lors d’un grand débat qui aura lieu au Salon du livre de Montréal, à l’automne 2002.


La Chambre morte
de Gilbert Dupuis
Que pourrait l’art contre l’asservissement d’une population? Que pourrait l’art contre une vaste conspiration visant à tuer l’imaginaire et la pensée individuelle? Telle sont les questions posées par Gilbert Dupuis dans La Chambre morte, qui oppose quelques rebelles de la culture à une multinationale tentaculaire considérant la création comme le fléau numéro un, création sans laquelle le monde ne tournerait plus qu’au rythme de l’économie. Heureusement, Mazarine Renaud et quelques autres veillent au grain, prêts à risquer leur vie pour libérer la société de ses puissants oppresseurs. D’une forme unique dans notre littérature, mélangeant allégrement les genres, La Chambre morte se lit comme un roman policier, nous en apprend autant qu’un cours d’histoire du Québec, mais constitue avant tout un vibrant plaidoyer pour la liberté d’expression.

VLB éditeur, 448 pages, 2001