Hicksville : Dylan Horrocks
Lorsqu’il parvient enfin à Hicksville, petite bourgade de la côte néo-zélandaise, le journaliste américain Leonard Batts n’en croit pas ses yeux.
Lorsqu’il parvient enfin à Hicksville, petite bourgade de la côte néo-zélandaise, le journaliste américain Leonard Batts n’en croit pas ses yeux. Venu pour préparer un reportage sur Dick Burger, vedette mondiale de la BD, originaire de ce patelin, il ne s’attendait pas à tomber sur une population entièrement absorbée, voire obsédée, par la bande dessinée. À commencer par Madame Hicks, bibliothécaire qui l’héberge durant son séjour et qui fréquente cette littérature en spécialiste, disposant de la collection la plus complète au pays.
Toutefois, dès qu’il entreprend de poser des questions sur le créateur du célèbre Captain Tomorrow, Leonard se heurte au mutisme, voire à l’hostilité des habitants de la petite ville, prêts à parler de toute autre chose en matière de comic books mais observant la loi du silence au sujet de leur illustre exilé. Persévérant dans ses recherches, Leonard fera la connaissance de jeunes adultes de l’endroit: Grace, qui l’éjecte de sa voiture lorsqu’il prononce le nom de Burger; mais aussi Danton et Sam Zabel, deux bédéistes inconnus hors de Hicksville mais passionnés par leur art.
Longue bande dessinée à la structure complexe, le Hicksville de Dylan Horrocks, comme plusieurs oeuvres anglo-saxonnes contemporaines, est construit à partir d’une série de mises en abyme et d’autoreprésentations, le genre se mettant lui-même en scène. BD dont l’action tourne essentiellement autour de la BD, le récit principal laisse place, notamment, à des oeuvres réalisées par ses personnages. C’est ainsi qu’on lira en même temps que Leonard un récit autobiographique de 44 planches que lui remet Sam Zabel, racontant son séjour à Los Angeles, chez Burger.
L’oeuvre joue également avec l’interpénétration de ses différents univers. Par exemple, dans ce même récit autobiographique, Sam Zabel se représente sur le point d’accepter de travailler pour Burger, attiré par une alléchante rémunération. Il est alors aux prises avec les personnages d’une autre de ses bandes dessinées, Moxie et Toxie, qui apparaissent dans son bureau et qui lui font la leçon, expliquant que s’il veut s’enrichir, il devra dorénavant dessiner ce que les lecteurs veulent, allant jusqu’à lui reprocher leur existence à laquelle personne ne s’intéresse: "Ta véritable vocation, c’est ces comics autobiographiques de loser, et ces traités d’épistémologie touchants, avec nous-mêmes en vedette."
Comme d’autres livres du même courant (on pense à It’s A Good Life if You Don’t Weaken du bédéiste canadien Seth), l’enquête ou la quête du héros consiste essentiellement à remonter aux origines de la passion pour la bande dessinée. Une passion partagée par plusieurs personnages qui proposeront une esquisse par bribes de l’histoire du genre (réelle dans ses courants, souvent fictive dans ses acteurs et ses réalisations).
Cette quête, véritablement mystique à Hicksville où les croyances maories ont encore cours, conduira Leonard dans une bibliothèque secrète, guidé par le gardien de phare, Kupe, qui révélera au héros le crime de celui qu’il a pris comme sujet de reportage. Mais ce que découvre finalement le héros de Dylan Horrocks, en plus de son ignorance, c’est une bande dessinée qui est élevée au rang d’art suprême. Et c’est le terme que l’on serait tenté d’appliquer à ce livre, touffu sur le plan du contenu, mais réalisé simplement à l’encre de Chine, en noir et blanc et sans tons de gris.
Trad. de l’anglais (Nouvelle-Zélande) par Monique Laxalt, L’Association, collection "Ciboulette", 2001, 250 p.