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Histoires saintes : Contes de la folie ordinaire

Ce sont des contes de tous les jours, des moments de la vie quotidienne que raconte Carole David, poète (Terroristes d’amour, 1986, Abandons, 1996, La Maison d’Ophélie, 1998) et auteure d’un roman (Impala, 1994). Pourtant, sous sa plume, les histoires pas catholiques prennent une tout autre coloration.

Histoires saintes

de Carole David

Ce sont des contes de tous les jours, des moments de la vie quotidienne que raconte Carole David, poète (Terroristes d’amour, 1986, Abandons, 1996, La Maison d’Ophélie, 1998) et auteure d’un roman (Impala, 1994). Pourtant, sous sa plume, les histoires pas catholiques prennent une tout autre coloration.

Dans Massacre de la Saint-Valentin, une femme, mère de famille, coincée entre sa fille et sa propre mère, se retrouve en tête-à-tête avec son amoureux au resto. "Les pâtes sont trop cuites et la sauce ressemble à du velveeta fondu. Une cuisine du désastre, si on en juge par la quantité de nourriture que les clients laissent dans leurs assiettes." Non loin d’eux, une jeune fille handicapée fête, elle aussi. "À vrai dire, cette jeune femme est un monstre. Son nez est décentré. Ses yeux exorbités roulent dans le vide. Je me rends compte qu’elle est aussi aveugle." Et l’amour dans tout ça? Bien accessoire, si l’on considère l’abîme dans lequel est plongée la narratrice devant son étonnement.

Plus loin, dans Le Nom de jeune fille de votre mère, une femme consulte un médecin pour comprendre les raisons de ses crises d’angoisse. Sont-elles d’origine génétique? Son cousin Mike, un policier, qui rêve d’ouvrir un salon de bronzage, l’aidera dans ses recherches. Ailleurs, dans Avon, monsieur Georges, des vendeuses de fleurs ont maille à partir avec leur patron. Mélanie, elle, l’aime bien. "Elle est fière de travailler pour Georges, un homme pourtant sans manières et sans culture: il se décrotte souvent le nez en auto, se replace constamment les organes génitaux." Cela n’empêche pas Mélanie, qui s’ennuie chez elle avec ses parents, de voir l’extérieur. Mais quelque chose, comme un secret qui les lie tous les trois, la maintient hors du monde. Dans Ma mère à main armée, une femme écrit à son enfant: "Nous aurons un beau Noël avec cet argent. Tu n’auras pas d’heures supplémentaires à faire, pas de tapis de motel à nettoyer. Nous irons en Floride, nous achèterons un vidéo, un lecteur laser; si nous manquons d’argent à notre retour, nous les revendrons à la brasserie ou au prêteur sur gages."

Les douze courts récits de Carole David, dont c’est le premier recueil de nouvelles, captent la banalité pour révéler toute l’étrangeté de la vie; sous les apparences de normalité, des destins basculent, des enfants souffrent, des adultes totalement névrosés reportent sur d’autres les ravages de leurs obsessions. Elle montre aussi, dans L’Île, par exemple, nouvelle qui raconte les abus d’un père sur ses filles, comment une tragédie peut disparaître aux yeux de certains. "Je lui parle des lanternes qui s’agitaient dans le vent, des noms d’actrices, des coiffures des filles et de la dérive des continents. Alex, lui, insiste: il n’a rien entendu."

Dans une langue simple, parfois triviale, Carole David insuffle un peu de poésie. Cela a pour effet de dévoiler le vertige qu’éprouvent ses héros ordinaires. Et si leurs existences sont semées de peines, de violence, de misère, l’auteure a choisi une ironie placide pour parler d’eux. "Je ne me souviens plus exactement comment j’ai rencontré celle qui m’accompagne dans cette descente aux enfers. Plus souvent qu’autrement, lorsque l’un de nous deux décide de quêter dans les rues, nous ramassons assez d’argent pour nous payer à boire." Le manque d’émotion, comme dans la citation ci-dessus, empêche néanmoins de nous attacher aux personnages. Est-ce le choix de la narration, le je, qui aurait demandé à être plus incarné? Lorsque le texte est donné par un narrateur omniscient, toutefois, le détachement trouve mieux son sens.

Restent ces petites chroniques, qui forment un portrait bien vivant de notre société.

Éd. Herbes rouges, 2001, 112 p.

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