Ma chère Margot : Monique Le Maner
Livres

Ma chère Margot : Monique Le Maner

La vérité point puis se défile dans le plus récent livre de MONIQUE LE MANER, un roman épistolaire où le passé régurgite ses cadavres, morceau par morceau.

La vérité point puis se défile dans le plus récent livre de Monique Le Maner, un roman épistolaire où le passé régurgite ses cadavres, morceau par morceau.

Après des années de silence, Dominique écrit un petit mot à sa vieille amie Margot. Elle répond en fait à un faire-part lui annonçant la mort du père de cette dernière, mais il n’en faut pas davantage pour que s’éveillent les démons de leur enfance. Ma chère Margot, de Monique Le Maner, nous donne à lire l’étrange correspondance qui s’engage.

Dans ces lettres, à travers quelques politesses qui sonnent faux, il est rapidement question de Crabe, leur amie retrouvée sans vie, un jour, dans le petit sentier qu’elles empruntaient toutes les trois en revenant de l’école. Une affaire jamais élucidée, bien que deux garçons habitant non loin aient été pendus pour ce crime.

Alors qu’elles confrontent différentes versions des événements, nous comprenons qu’elles en savent bien davantage que ce qu’elles ont raconté à la police, à l’époque. L’échange réveillant de lointaines rivalités, Dominique, dite Doudou, et Margot se montrent agressives l’une envers l’autre, s’accusant mutuellement de cacher les circonstances exactes du meurtre, voire d’en être l’auteure. Cela donne des conversations de vieilles dames semées de "Salope!" ou "Ma vache!". Un exemple éloquent: "Tousses-tu toujours autant, ma chérie, ou ça va un peu mieux? Réponds-moi, ordure, ou je te tue."

Mais sommes-nous témoins d’une véritable correspondance? Toutes ces lettres adressées à son amie, Dominique les envoie-t-elle vraiment? Les écrit-elle seulement? Ne sont-elles pas que des échos dérisoires dans une conscience malade? "On devrait s’appeler plutôt que de s’écrire, écrire, c’est bête, surtout quand on n’envoie pas les lettres", dira-t-elle d’ailleurs. Maints indices nous laissent croire, en effet, que Dominique ne vit plus que dans sa tête, internée dans un asile. Et Margot, de son côté, n’est-elle pas morte depuis des lustres?

Les pistes se brouillent davantage qu’elles ne se précisent dans ce roman dont on apprécie par ailleurs l’imagerie étonnante, celle qui, par exemple, apparente certains personnages à des animaux. Il y a Crabe, tout d’abord, prise au piège tel un crustacé, mais aussi le vieux coq, le père des gamins pendus, ces derniers se faisant appeler aussi les poules. Curieux bestiaire dont les acteurs ont souvent la cruauté des animaux les uns envers les autres.

Ma chère Margot: roman épistolaire, donc, hormis un bref passage, vers la fin, pris en charge par un narrateur extérieur – mais encore là, n’est-ce pas une voix dans la tête de Doudou? – qui n’agira toutefois pas assez longtemps pour mettre de l’ordre dans cet univers factice où la vérité nous glisse entre les mains.

La profusion des lettres, présentées en plusieurs versions et souvent contradictoires, donne un peu le tournis aux enquêteurs improvisés que nous sommes. Les fausses pistes sont décidément nombreuses et on pourrait remettre en question la nécessité de certains personnages secondaires; cependant, la qualité de l’écriture et le suspense à rebours attisé par la correspondance, vraie ou fictive, nous tiennent en haleine jusqu’à la dernière page. Même si nous avons renoncé tôt, en chemin, à connaître la vérité avec un grand V…

Éd. Triptyque, 2001, 192 p.