Marie Laberge : Bonheur d’évasion
MARIE LABERGE a tenu parole. Un an après la parution de Gabrielle, premier tome du Goût du bonheur, elle publie avec Florent le troisième et dernier volet du grand oeuvre de ses 50 ans. La tumultueuse saga se poursuit et s’achève dans le Québec des années 50 et 60.
Marie Laberge est radieuse. Libérée d’un long travail de recherche et de création amorcé en 1996, elle arbore le sourire du devoir accompli en présentant Florent, son nouveau roman. "Maintenant, je sais que j’ai mené la trilogie à bon port, confie-t-elle. Il n’y a qu’une seule chose à laquelle je n’avais pas pensé en me lançant dans cette aventure et qui aurait été épouvantable: que le premier tome ne plaise pas aux lecteurs. Avec quel courage j’aurais alors pu achever Adélaïde et Florent? Mais j’ai été vraiment bien traitée par le public."
Pour être choyée par le public, Marie Laberge l’a été. Rarement aura-t-on vu romans québécois aussi populaires que les deux premiers volets du Goût du bonheur. Selon l’éditeur Boréal, Gabrielle s’est écoulé à plus de 100 000 exemplaires, un score exceptionnel, peu atteint dans le milieu de l’édition québécoise. Adélaïde, le deuxième volume, est en voie d’en faire autant. Quant à Florent, on s’imagine mal comment il ne pourrait pas égaler l’exploit de ses prédécesseurs.
Le bonheur de Florent
Après Gabrielle, dont l’histoire se déroulait en vase clos sur l’île d’Orléans, Adélaïde, où l’action se transportait vers la grande ville, à Montréal, Florent marque une ouverture sur le monde, les protagonistes évoluant tant à Paris qu’à New York ou à Montréal. Mais si les décors changent et que quelques personnages s’ajoutent, l’univers de Marie Laberge demeure le même, celui des tribulations intérieures s’articulant essentiellement autour de trois pôles: le sexe, la mort et la folie. "Je veux écrire sur le moment dans la vie où l’être humain se révèle, s’expose, ressent, explique l’écrivaine. Je veux témoigner de ce qu’un être humain peut être dans toutes ses tonalités, avec ses nuances les plus disgracieuses, mais avec les plus fabuleuses aussi, parce que c’est ça un être humain."
C’est avec cette perspective éminemment humaine et individualiste que Marie Laberge s’efforce de dépeindre l’histoire du Québec des années 30, 40, 50 et 60. Selon elle, c’est à même les tourments psychologiques et affectifs des individus que se forge l’histoire. "Les mouvements politiques et sociaux s’expriment toujours à travers chaque personne qui fait la société, explique-t-elle. La Révolution tranquille est arrivée selon les livres à telle année, mais ce sont des faits. Ce qui m’intéresse, c’est d’aller voir quand chaque individu a réagi. Il y a un moment où chaque individu dit: "Ceci n’est pas supportable, je vais le changer, je me rebelle, je vais transgresser la règle, je vais aller chercher mon bonheur où il se trouve.""
Florent, qui reprend là où le précédent volume de la saga s’était brusquement achevé, fait le récit du douloureux deuil vécu par Adélaïde et s’attarde, comme son titre l’indique, à la quête du bonheur de Florent. Une quête du bonheur aux accents mélodramatiques, qui ne sera pas sans embûches et qui prendra parfois l’allure d’une succession de malheurs, car la romancière s’intéresse autant à la grande capacité de ses personnages à se rêver immenses qu’à la brutalité avec laquelle la vie peut mettre fin à leurs rêves.
Du théâtre au roman
Son grand succès de romancière tend peut-être à l’éclipser, mais avant de devenir écrivaine adulée du public (et boudée par la critique), Marie Laberge a connu une remarquable carrière à titre de dramaturge et de comédienne. Pas étonnant que certains de ses personnages fraient avec le milieu, surtout Florent, qui sera mené à faire des costumes pour une troupe de théâtre. Doit-on voir en ces passages un élan de nostalgie de la part de l’écrivaine? "Non, et ça m’étonne, indique-t-elle. Je m’attendais à avoir un blues théâtral au bout de trois-quatre ans, et ça fera 10 ans l’an prochain que j’ai quitté le milieu. Mais je ne m’empêcherai jamais d’écrire une pièce sous prétexte que j’ai dit que je quittais le théâtre. Je n’ai pas fait de promesse à quiconque, j’ai fait ce qu’il fallait que je fasse pour ne pas devenir mal et pour prendre soin de ma capacité de création."
Forte du succès de ses romans, Marie Laberge se dit très heureuse dans le milieu littéraire, considérant que l’acte d’écriture, qu’il soit théâtre, nouvelle ou roman, est fort semblable. Mais elle avoue tout de même que du nombre, le roman est peut-être le genre qui lui convient le mieux: "J’ai toujours été une grande solitaire qui a un côté très public et ce métier me permet de concilier ces deux facettes diamétralement opposées de ma personnalité. C’est bien parce que quand j’écris, je suis très seule et quand vient le temps d’éditer mes écrits, je suis prête à me retirer de ma solitude. Là, par exemple, je suis fin prête à entrer dans le bain et à rencontrer mon public."
Florent
de Marie Laberge
Éditions Boréal
2001, 758 pages