Autour de Dédé Fortin : Jean Barbe
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Autour de Dédé Fortin : Jean Barbe

En retraçant le chemin de croix de Dédé Fortin, Jean Barbe évoque aussi le sien. Le résultat, inclassable et bouleversant, mêle avec doigté biographie et  confidences.

Il aurait pu se contenter de retracer l’itinéraire atypique du chanteur des Colocs, depuis ses débuts artistiques frustrants jusqu’à sa disparition tragique, alors que tout allait pourtant si bien pour le groupe – il y avait bien assez de matière pour écrire 100 pages là-dessus. Mais Jean Barbe a choisi un angle plus personnel, dévoilant beaucoup de lui-même dans cet Autour de Dédé Fortin, un livre qui s’inscrit particulièrement bien dans la nouvelle collection "Résonnances" des Éditions Leméac.

L’auteur et chroniqueur bien connu, qui avait exactement le même âge que le disparu, montre comment résonnent chez lui les contradictions d’André Fortin, joyeux drille à la plume si sombre qui, au faîte du succès, allait se faire hara-kiri dans la solitude la plus complète. Avec de nombreuses parenthèses sur le contexte socioculturel des années 90, il raconte les étapes importantes de la trop courte vie d’André Fortin, rappelant l’arrivée à Montréal d’un jeune hyperactif bourré d’idées folles autant que de talent, ses études en cinéma, les débuts du groupe. En se basant sur les témoignages de quelques proches du chanteur, il raconte l’ascension des Colocs depuis l’intérieur, l’adéquation de plus en plus difficile entre leur idéal musical et les rouages du show-biz. "Grand pouvoir de notre show-biz: c’est en le contestant qu’on y accède le mieux. Et dès lors, notre voix se perd sous les bravos."

Jean Barbe explore aussi la difficulté d’aimer, chez André Fortin, son insatisfaction constante, comme si le bonheur était toujours dans les bras de la prochaine conquête. Il fait un portrait amical mais sans complaisance d’un artiste exigeant, voire intransigeant avec ses collaborateurs, et montre les failles de cet extraordinaire leader, les périodes de crise, la dépression, sans toutefois donner dans l’anecdote juteuse ni se perdre dans les conjectures du genre il-a-fait-ceci-parce-qu’il-a-manqué-de-cela.

Ce qu’on pourrait appeler un essai biographique est pour Jean Barbe l’occasion de réfléchir sur le succès, l’ambition, le pouvoir et ses fruits illusoires. Il témoigne avec une sincérité désarmante de la difficulté de vieillir, d’entrer dans le rang, surtout pour ceux qui en ont tant contesté la logique. "Comment refuser les règles absurdes et jouer tout de même?" se demande-t-il.

Vedette, Dédé Fortin se sent en contradiction avec lui-même. L’auteur fouille ce type de contradiction, lui qui a fréquenté les abîmes de l’alcool et du désespoir, après avoir été rédacteur en chef de l’hebdo que vous tenez entre vos mains et chroniqueur télé très en vue. "Ceux qui me connaissent très bien savent les fissures sous le roc, l’inconfort quasi permanent, le sentiment de n’être jamais tout à fait adéquat […]. Il m’arrive parfois de m’effondrer comme un château de cartes", écrit-il avant d’en arriver au courageux constat que ç’aurait pu être lui, le disparu.

Et il pose des questions. Beaucoup de questions. Pourquoi détenons-nous le record occidental du plus haut taux de suicide chez les hommes de 18 à 40 ans? Pourquoi en parlons-nous si peu? Serait-ce en vertu de l’idée désuète et stupide qu’en en parlant, nous allons donner des pensées noires à d’autres?

Autour de Dédé Fortin fait le portrait d’un artiste attachant, mais aussi d’une génération tourmentée. Jean Barbe esquisse des pistes, ceci n’expliquant pas tout à fait cela – il est évident que Dédé Fortin avait besoin d’une aide clinique -, mais dégageant plusieurs motifs de dépression chez une génération X née dans les lendemains de party de la génération précédente. Éd. Leméac, 2001, 120 p.