Guillaume Vigneault : L'amour en fuite
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Guillaume Vigneault : L’amour en fuite

GUILLAUME VIGNEAULT publie ces jours-ci son second roman: Chercher le vent. Au centre de ses préoccupations: l’amour, la trahison, la solitude. Il nous parle de sa vision très personnelle de l’écriture, de son regard sur la  littérature.

Guillaume Vigneault

se rappelle cet étudiant venu le voir après avoir lu son premier roman, mis au programme par certains profs: "Man, c’est le premier livre que je lis jusqu’au bout de toute ma vie. Est-ce que tu vas en écrire d’autres?" Une belle responsabilité pour un jeune auteur, et une motivation supplémentaire pour écrire le redouté second roman…D’autant que Chercher le vent mûrissait déjà dans la tête de Guillaume Vigneault avant que Carnets de naufrage n’y prenne forme. Les deux ouvres de l’auteur de 31 ans présentent de très fortes parentés: fuites dans le Sud d’un homme en état de crise existentielle causée par une rupture amoureuse. "On peut les réduire à quelques axes restreints, admet-il. L’amour, l’amitié, les regrets, la réparation, la rédemption, la quête de notre façon d’être au monde, la quête de l’équilibre entre l’inertie et le mouvement. Mais, pour moi, ce sont des manifestations de quelque chose de plus large, qui traverse toutes les strates de ma vie. C’est le moteur de mes doutes: comment on s’entend les uns avec les autres, comment on deale pour être à deux quand on est foncièrement seul, pour se faire confiance quand on est foncièrement traître?…"

Le cour qui bat
Pour Guillaume Vigneault, l’amour est le grand sujet, qui transcende la sphère privée. "Le thème de l’amour entraîne à sa suite toutes les autres belles grandes questions. Je pense que j’ai une espèce de pudeur à parler de grands thèmes universels… mais l’amour, ça questionne notre rapport au monde, à l’humain. C’est peut-être la manifestation où l’on est le plus nu et le plus pur. C’est pour moi le plus grand révélateur. Tout passe par là. Je pense que trouver son équilibre en amour, c’est trouver son équilibre à bien d’autres égards, aussi. L’amour est un très beau risque à prendre, qui, lorsqu’il tourne mal, remet énormément de choses en question. Je trouve la question essentielle: comment être soi, mais avec un autre."

Mêmes thèmes en apparence, donc, mais traités ici sous un angle différent. Si plusieurs ont vite sauté aux conclusions en faisant l’équation entre le narrateur de Carnets de naufrage et le jeune auteur-barman-dropout d’études en lettres du Plateau-Mont-Royal, le protagoniste de Chercher le vent est une extrapolation plus distante de Vigneault. "Mon premier roman flirtait avec l’autofiction. Je voulais voir si j’étais capable d’écrire avec un "je" plus lointain, de continuer dans l’intimité, mais en partant ailleurs. Cette question se pose toujours, pour les auteurs qui écrivent un premier roman proche d’eux: oui, mais après? Nelly Arcan, qu’est-ce qu’elle va écrire après?…"

Dans ce road-book (qu’on pourrait rapprocher du Volkswagen Blues de Jacques Poulin, vient-il tout juste de découvrir), Vigneault assume pleinement sa nature de Nord-Américain. Ses références sont plutôt là. Chez Hemingway, par exemple, malgré le machisme, la simplicité parfois un peu décevante à son goût. "Mais la simplicité, les mots qui s’effacent derrière ce qui se passe, montrer plutôt que dire: ce sont des préceptes importants. Les plus belles phrases sont celles que je peux faire avec des mots que tout le monde emploie. J’aime quand on me dit que c’est très peu léché, même si ça l’est beaucoup dans ma tête. C’est difficile, faire simple."

Guillaume Vigneault s’avoue aussi "confortable" chez Philippe Djian, dans cet univers masculin contemporain. À l’instar de plusieurs jeunes auteurs québécois de l’ère post-féministe, son narrateur est très vulnérable aux blessures du cour. Mais c’est aussi un "gars-gars", pris avec les vieux codes de l’amitié masculine. Et peut-être avec cette interrogation implicite: qu’est-ce qu’être un homme? "Je pense qu’on est pognés dans cette espèce de paradoxe où être un homme, c’est ne pas avoir les relations de nos pères avec les femmes, sans dire non plus qu’il n’y a pas de différences fondamentales (entre les sexes). Je me sens à court de réponses. Mais je trouve intéressant de poser les questions, et que tout le monde se forge ses réponses maison. Moi, je me bricole des réponses tous les jours dans mes rapports avec les femmes, avec les gars, avec ce que ça signifie d’être l’un et l’autre, et comment vivre ensemble. C’est peut-être fastidieux, mais je pense que c’est la seule façon productive d’aborder la chose."


Chercher le vent
Jack était pilote, photographe, surfeur. Était. Depuis son divorce d’avec Monica, le narrateur de 36 ans est absent à lui-même, au monde, enterré vif. Avec Tristan, son ex-beau-frère maniacodépressif, Jack prend la route vers le sud.

Le temps de cueillir en stop Nuna, une belle jeune femme frondeuse, le trio aboutit à Bar Harbor, en Floride. Là, Nuna dérive doucement d’un flirt léger et charnel avec Tristan à un attachement plus profond pour l’intrigant Jack. Mais celui-ci fuit devant la menace de cette relation, se poussant jusqu’en Louisiane, où il décroche un boulot dans un petit snack. Au bout de son chemin de croix auto-infligé, Jack apprendra qu’il existe des "trahisons nécessaires" pour continuer à vivre. Et qu’il faut prendre des risques.

On roule avec l’histoire, bien construite, mais c’est surtout la manière de la raconter qui séduit dans Chercher le vent. La façon juste de dépeindre les personnages – malgré certaines caricatures -, les sentiments, les rapports humains. L’humour à sec de la narration, les métaphores simples mais bien imbriquées, la langue maîtrisée et évocatrice. Comme son protagoniste, Guillaume Vigneault a le don du regard.

Éd. Boréal, 2001, 268 p.