Des livres pour un monde meilleur : Quel livre vous redonne espoir en l'humanité?
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Des livres pour un monde meilleur : Quel livre vous redonne espoir en l’humanité?

Il fait bon quelquefois laisser de côté l’actualité pour s’interroger sur le rôle et le pouvoir de la littérature. Alors que le Salon du livre de Montréal s’apprête à exposer des milliers de livres jusqu’à plus soif, des écrivains nous disent quelles oeuvres leur redonnent confiance et espoir en un avenir meilleur, une vie plus belle.

Claudine Bertrand (poète, directrice de la revue Arcade, auteure entre autres du Corps en tête, L’Amoureuse intérieure suivi de La Montagne sacrée, Le Dé bleu)

"Une autre altitude. Poèmes pour Chantal Mauduit. Ce livre est une magnifique leçon de courage. Il s’agit du troisième volet d’un triptyque d’André Velter consacré à Chantal Mauduit, la femme qu’il aimait, disparue dans une avalanche en 1998 alors qu’elle faisait de la haute montagne dans l’Himalaya. La douleur qu’il a connue, Velter la qualifie lui-même d’inhumaine; mais par l’écriture, il est parvenu à la sublimer, à la transcender, à en dégager quelque chose de lumineux. C’était une façon pour lui de ne pas abdiquer, de ne pas renoncer à vivre. Le ton n’est pas à la lamentation, d’ailleurs. Il traduit sa grande souffrance, bien sûr, mais il s’interroge sur la suite de l’univers, assurant une certaine continuité à leur amour. "Je vais poursuivre sans toi / avec toi / cette ascension qui ne dépend plus que de nous", écrit-il. L’histoire de Chantal Mauduit, c’est un peu le mythe d’Icare au féminin. Elle savait qu’elle courait de grands dangers, mais elle allait au bout de ses aspirations. Au fil des poèmes, la figure de la disparue prend une dimension mythique, incarnant toute une symbolique de l’errance, de la marche vers l’inconnu. Chantal Mauduit lisait des poèmes sur les sommets de l’Himalaya, dans ce lieu de non-dit, à proximité du ciel. Dans la poésie de Velter, la notion d’altitude évoque bien sûr le sommet d’une montagne, mais aussi la mort elle-même. Le poète, comme un alchimiste, prolonge la réalité dans le mythe… J’aimerais citer encore ces vers, qui résonnent de manière particulière dans le contexte actuel: "Il faut bien qu’un tel amour / transcende tous les meurtres du monde"." (Éd. Gallimard, 2001)

Jean-Christophe Rufin (auteur de L’Abyssin, de Rouge Brésil, entre autres, et cofondateur de Médecins sans frontières)

"Il y en a trois en fait, qui sont très importants pour moi parce qu’ils me donnent une sorte d’énergie, de vitalité. Le Hussard sur le toit, de Giono, qui a une force de vie absolument extraordinaire, sans équivalent avec quoi que ce soit; Les Trois Mousquetaires, d’Alexandre Dumas, parce que c’est un climat que j’aime énormément, un climat de bonheur, de fraternité. Et puis enfin Le Neveu de Rameau, pour cette ironie de Diderot, que j’aime beaucoup. Giono pour la poésie; Dumas pour l’aventure; Diderot pour la philosophie."
(1805, rééd. Garnier-Flammarion)

Carole David (auteure de poésie dont le recueil Abandons, du roman Impala, et du recueil de nouvelles Histoires saintes)

Crédit photo: Ludovic Frémaux
"La Storia, d’Elsa Morante. Parce que c’est un roman qui traverse la Deuxième Guerre mondiale du point de vue des petites gens, des victimes. Le livre a une fin très dramatique, mais il révèle tellement un autre point de vue de ce qu’est la guerre, et de ce que peuvent y vivre des gens dont on ne s’occupe jamais. Je me dis que peut-être, un jour, un roman va être écrit sur ce qu’on vit présentement, sur la grande mais aussi la petite histoire, et qu’une autre dimension va apparaître. Dans La Storia, c’est celle des survivants, des gens dont on ne parle pas. Et c’est ce qui est extraordinaire: c’est la fiction qui finalement donne la vérité. Il y a comme une autre vérité qu’on ne connaît pas pour l’instant, mais qui un jour va être révélée par des romans. Et je trouve que c’est ça, finalement, le rôle de la littérature. C’est ce qui nous donne confiance en la vie, d’une certaine manière.

"Et même si ce qu’on lit dans La Storia est assez horrible, à travers ça, il y a une humanité qui survit. Il y a des éclaircies, des moments de grâce. Alors, de voir comment on peut résister à ce qui se passe, comment on peut survivre à toutes ces atrocités, c’est ce qui me donne confiance. C’est un livre très dur, mais qui nous fait tellement réfléchir sur l’humanité, et nous donne confiance, à cause de la volonté de survie."

(Gallimard, 1974, rééd. Folio)

Guillaume Vigneault (auteur des Carnets de naufrage et de Chercher le vent)

Crédit photo: Martine Doyon
"La Peste, d’Albert Camus. Beaucoup parce que la rédemption y est une affaire strictement humaine, et non pas divine. Et je trouve ça sain, de nos jours (rires)… Je pense qu’à notre époque, on a davantage besoin de docteurs Rieux que de mollahs, de pasteurs, ou de toutes les sortes de clergés possibles. Pour la morale humaniste, donc, qui est d’autant plus incarnée qu’elle est sa propre justification. Dans La Peste, il y a un devoir de résistance qui n’est pas mandaté par plus haut, et qui, dans la morale de Camus, serait presque un devoir religieux, dans un sens, mais d’une religion qui demande juste de croire en l’Homme. Un devoir de résistance à l’horreur, à ce que la vie produit comme injustices inexplicables et absurdes, dans ce que ça a de plus ignoble. Ce qui est réconfortant, c’est la compassion du docteur Rieux, et justement le fait qu’il résiste. Il voit les morts s’empiler, et il continue à essayer de soigner les gens.

C’est la vie qui continue: la peste finit par partir d’Oran, laissant derrière elle des dégâts, mais aussi des survivants. Il y a aussi le fait que Rieux résiste au désespoir, et à la rage. On ne peut pas faire un parallèle avec ce qu’on vit maintenant, mais je pense qu’il faut résister à la rage, dans une période comme celle-ci. Et évidemment poser les bonnes questions, ce qui est peut-être la seule voie de salut, au sens très réel, de la race humaine."
(Gallimard, 1947, rééd. Folio)

Nicole Brossard (auteure de nombreux livres de poésie et de romans dont Le Désert mauve, Baroque d’aube, et Hier)

Crédit photo: Germaine Beaulieu
"Je n’arrive pas à trouver un seul livre, plus qu’un autre, qui redonne espoir en l’humanité. Je dirais que chaque livre qu’on lit avec intérêt donne de l’espoir à sa manière, pour un temps plus ou moins durable. Évidemment, plus les années passent, plus les livres qui donnent espoir en l’humanité sont difficiles à trouver, parce qu’avec le postmodernisme et toutes les guerres du XXe siècle, on a dû faire un peu le deuil de l’idée d’améliorer l’humanité. On s’attend à ce que l’Histoire se répète, hélas – avec d’importantes modifications, bien sûr. Mais l’espoir en l’humanité, somme toute, il se cache probablement dans le goût que l’on a de la vie. Et pour moi, la poésie est présentement l’art par lequel le courant de la vie, l’énergie vitale, le désir se manifestent le mieux. La poésie, c’est ce qui nous lie directement à la vie, au monde. Et c’est toujours ce qui surgit lorsque les mots sont difficiles à trouver. Donc, c’est la formule qui nous permet d’être en relation immédiate avec l’émotion. Je pense aux Élégies de Duino, de Rainer Maria Rilke. C’est un livre que j’ai lu quand j’avais 20 ans, et il tient encore le coup. Il a été écrit deux ans avant la Première Guerre mondiale, donc il est tout plein de questions sur l’élan de vie. Je pense que c’est avec ça qu’on travaille quand on écrit, et c’est pour ça que, somme toute, ce sont les livres qu’on écrit qui nous donnent espoir. Ou en tout cas qui traduisent l’espoir, singulier et collectif, que l’on peut mettre dans la vie." (1912-1915, rééd. Points/Seuil)

Jean-Paul Daoust (poète, dirige la revue Estuaire et auteur des Versets amoureux et des Saisons de l’ange, entre autres)

Crédit photo: Mario Savoie PH 14134
"Je relis souvent le plus récent livre du poète belge William Cliff, L’État belge. En rupture avec un formalisme désincarné, la poésie de Cliff est ancrée dans le quotidien, même si elle est écrite en alexandrins – ce qui en fait une oeuvre à part dans la poésie d’aujourd’hui. C’est pour moi une version contemporaine de La Chanson du mal-aimé; un journal intime en rimes, une voix très personnelle qui raconte un désarroi universel. Ce n’est pas un message d’espoir en soi; mais quand je le lis, je me sens moins seul, entraîné dans une alternance de scènes cocasses ou tristes, de petits tableaux de tous les jours, souvent servis avec humour. Sa façon de décrire les lieux qu’il visite et les gens qu’il rencontre me replonge dans ce que, moi, je peux vivre. Sans compter qu’il y a chez cet auteur une telle maîtrise de la langue qu’on en oublie les rimes, la forme. Autre chose que j’aime bien: dans ces textes où il traduit des préoccupations et des aspirations planétaires, les villes deviennent parfois des personnages. En voici un exemple: "et ici à New York dont la folie hurlante / fait vrombir les camions et saccader les trains / je pense à Leningrad son calme et son silence / et sa longue espérance enlisée dans le rien"." (La Table ronde, 1998)

Louis Hamelin (auteur de La Rage, entre autres, et son plus récent: Le Joueur de flûte)

Crédit photo: Martine Doyon
"Aux confins du temps de John Updike: ça se passe aux États-Unis après un conflit atomique avec la Chine, vers 2026 environ. C’est un roman fabuleux, d’une grande richesse de langage, qui montre comment la société américaine arrive à se réorganiser après une catastrophe.

Saylor Song, de Ken Kesey: malheureusement pas encore traduit, les Français aiment mieux Thomas Pynchon. Un roman qui se passe en Alaska, et qui montre une petite communauté composée de marginaux américains et d’aborigènes qui survivent d’abord à un tournage hollywoodien, ensuite à une catastrophe technologique qui détruit toutes les communications électroniques. Encore le thème de l’Apocalypse!

Un lieu sûr (Leméac/Actes Sud, 2000), de Barbara Gowdy: une histoire qui se passe dans le monde des éléphants, pour les gens qui sont tannés un peu des humains. Après tout, il n’y a pas que les humains qui portent la mémoire du monde, il y a aussi le monde naturel, les créatures avec qui on partage le monde qui la portent." (Seuil, 2000)

Monique Proulx (auteure de nouvelles et de romans, dont Le Sexe des étoiles et Les Aurores montréales)

Crédit Photo: Raymonde Bergeron
"L’Écriture ou la vie de Jorge Semprun est pour moi l’exemple du livre qui révèle tout ce que l’humain peut avoir de beau. Bien sûr, c’est un cauchemar que l’auteur raconte dans ce roman, celui de quelqu’un qui a vécu les camps de concentration; en même temps, il montre que la seule manière de se sauver, c’est de s’intéresser aux autres. C’est la curiosité de l’autre qui fait que l’on sort de nous-mêmes ce que l’on a de meilleur. Quand on se soucie de ceux qui vivent autour de nous, tous les espoirs sont permis. Comme chez Nicolas Bouvier, d’ailleurs, et son Usages du monde. C’est un journal de voyage, et non un roman comme le premier; mais il fait voir, comme Semprun, les aspects positifs de l’être humain. Ces deux livres, que j’ai eus longtemps près de moi ces dernières années, démontrent comment l’être humain peut être doué pour la vie quand il s’ouvre au monde. Ils prouvent aussi que nous avons en nous l’instinct de survie, et la capacité de créer des conditions de vie heureuse. Ce qui est le début de tout." (Gallimard, 1994, rééd. Folio)