Comme une panthère noire : Gilles Archambault
On dit que les écrivains écrivent finalement toujours le même livre. Chez certains, c’est plus évident que chez d’autres. Gilles Archambault est de ces auteurs qui semblent creuser inlassablement le même sillon, ou à peu près.
On dit que les écrivains écrivent finalement toujours le même livre. Chez certains, c’est plus évident que chez d’autres. Gilles Archambault est de ces auteurs qui semblent creuser inlassablement le même sillon, ou à peu près. On retrouve donc dans son quatrième recueil de nouvelles sensiblement les mêmes thèmes qui soutenaient l’ouvre précédente, Courir à sa perte: l’âge, l’amour perdu, la désillusion, le spectre de la mort, "le temps qui a fui inexorablement, la sensation de ne pas avoir su tirer profiter du moment présent". Des sujets fondamentaux, il faut bien dire. Alors, pourquoi se renouveler?
Le vieillissement et le sentiment d’échec marchent main dans la main dans Comme une panthère noire, qui recense les ratages de la vie. Les antihéros d’Archambault ne se racontent plus d’histoires: "Ce n’était pas la première fois que Charles se rendait compte de l’inanité de sa vie"; "Quand il a un peu bu et qu’il est en présence d’un ami sûr, Martin avoue qu’il est un raté."
D’une nouvelle à l’autre, le protagoniste paraît souvent une variation sur le même personnage. L’"Homo Archambus" (il y a une couple de femmes, quand même) est ici un homme d’âge mûr ou plus, un peu mou, dérisoire, qui admet volontiers sa médiocrité, ses petites lâchetés. Il a 50 ans, mais a déjà l’impression que sa vie est derrière lui. "Tout est scellé, ou à la veille de l’être."
Il a perdu ou négligé une femme superbe, toujours plus vivante, vibrante que lui (mais souvent compliquée, voire caractérielle). Et, pour finir, le voilà seul. "L’unique certitude", comme le conclut avec lucidité la protagoniste d’Il y a bien longtemps, cette fois une femme octogénaire "flouée par la vie".
Les relations entre parents et enfants y sont marquées par l’incompréhension. Souvent, les père manquants ou absents essaient de recoudre les liens perdus, comme dans Tu parles trop fort ou l’émouvante et cruelle La Vie recommencée, qui montre la transmission cyclique des relations parentales déficientes…
Parfois, en bout de course de ces brefs récits (qui, sinon, ont souvent des chutes qui n’en sont pas, laissant les personnages en suspens), une brusque accélération du temps vient donner une conclusion à l’histoire, révéler tout le dérisoire de ces vies enfuies, qui auront laissé si peu de traces dans la tête de leurs descendants. L’absurde n’est pas loin…
La mort, qui est la perte ultime, étend son ombre noire sur la belle nouvelle éponyme. "Mais non, on ne profite pas de la vie. On la subit. Surtout quand on a perdu le seul être qui compte." Pessimiste, donc, mais sans larmes. Les personnages contemplent généralement l’échec de leur vie avec une sorte de lucidité résignée. On ne fait pas de vagues chez Archambault, on se laisse emporter par la lame de fond qu’est la vie, avec sa cohorte de désillusions.
Si une ironie plus tangible se fait jour ici et là (comme dans J’aime bien ce que vous faites), l’homogénéité du livre, bâti pour que les nouvelles se répondent, ne permet guère d’échapper à cet univers déclinant. Ces personnages aux passions éteintes distillent forcément un ronron grave, un peu vieillot. Sans audace formelle susceptible de bousculer le lecteur.
Mais Gilles Archambault poursuit son petit bonhomme de chemin avec l’art simple et tranquille de celui qui sait que le temps n’est pas infini, et qu’il faut aller à l’essentiel. Éd. Boréal, 2001, 168 p.