Le renouveau du conte : Contes pour tous
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Le renouveau du conte : Contes pour tous

Depuis quelques années, ce genre tombé en désuétude connaît un regain de vie sans précédent. Dépoussiéré, actualisé, le conte est de toutes les tribunes. Effet de mode ou phénomène  durable?

Michel Faubert, Joujou Turenne, Christian Vézina… Pas besoin d’être un mordu du conte pour connaître ces noms, qui résonnent de plus en plus dans notre paysage culturel. Et sur les traces de ces conteurs de métier, les diseurs en herbe sont légion. Pas de doute, le conte a la cote.

Il n’y a pas si longtemps, l’image du conteur était encore associée à la cabane en bois rond et à la chemise à carreaux. Depuis une dizaine d’années, des manifestations telles que le Festival interculturel du conte du Québec, Les jours sont contés en Estrie ou, plus récemment, les Dimanches du conte de la microbrasserie Le Sergent recruteur ont remis le conte au goût du jour, favorisant un profond renouveau dans la forme autant qu’une diffusion plus large.

L’un des catalyseurs de ce renouveau est sans contredit la jeune maison d’édition Planète rebelle. André Lemelin, fondateur de la maison et conteur lui-même, rêve depuis le milieu des années 90 d’élargir l’auditoire. "J’étais alors à la revue Stop, une revue consacrée à la nouvelle. Graduellement, nous invitions les auteurs à aller vers le conte, pour l’expérience; et, à un certain moment, les lancements de Stop se sont mis à ressembler à des soirées de conteurs! En 1998, Jean-Marc Massie et moi inaugurions les Soirées du conte au Sergent recruteur, une fois par mois. Peu après, le rendez-vous devenait hebdomadaire. C’est, depuis, un merveilleux laboratoire…"

Dans la foulée, Planète rebelle publiait de nombreux recueils et lançait sa très belle collection de livres-disques, comprenant la captation d’une prestation du conteur.

Les feux de la rampe
Aujourd’hui, les lieux de diffusion se sont multipliés. Certains bars, Le Sergent recruteur bien sûr, mais aussi le Fou-Bar de Québec et La Pierre angulaire de Saint-Élie-de-Caxton, convient régulièrement un auditoire croissant. Des ponts ont même été jetés par-dessus l’Atlantique, les conteurs québécois étant régulièrement invités à des festivals en Europe, entre autres au festival Paroles d’hiver, en Bretagne.

Les scènes devenant plus nombreuses et mieux organisées, des préoccupations scéniques sont apparues. Dans son Petit Manifeste à l’usage du conteur contemporain (Planète rebelle, 2001), Jean-Marc Massie parle d’ailleurs du "beau risque du spectaculaire", les conteurs étoffant souvent la mise en scène de leurs numéros (introduction d’accessoires, de costumes, apport musical ou éclairages), au risque, selon l’auteur, de dénaturer un brin le conte, dépouillé par essence. "Pourtant, plusieurs des conteurs et des conteuses participant à son renouveau montent sur scène en veillant justement à ne pas trahir l’esprit du conte et, surtout, à ne pas subordonner la force de sa parole magique aux procédés et aux techniques scénographiques", écrit Jean-Marc Massie, rassurant. "Il ne faut pas oublier que nous nous trouvons sur une scène, comme conteurs, dit André Lemelin. Cette conscience de la mise en scène a d’ailleurs contribué au renouveau du conte."

Autre facteur: le renouvellement du répertoire. Le conteur d’aujourd’hui ne se contente pas de dire; il crée, comme l’a démontré le dramaturge Yvan Bienvenue avec ses Contes urbains, présentés depuis 1994 au théâtre La Licorne. Il peut le faire en écrivant lui-même de nouvelles histoires ou encore en se réappropriant des contes existants – Yves Robitaille, par exemple, a situé sa relecture de La Chasse-galerie dans un centre commercial.

À l’ère de la mondialisation, Jean-Marc Massie fait par ailleurs du conte l’un des rares médiums échappant à l’industrie du divertissement et de la pensée unique. Le jeune conteur Fred Pellerin, récipiendaire d’une médaille de bronze aux récents Jeux de la francophonie, prône lui aussi cette parole libre, capable de transmettre notre héritage culturel de façon personnelle et conviviale. "On nous fait croire qu’on se trouve à l’ère des communications. Internet, téléphone, fax, répondeur, télévision, et encore… Puis, ironiquement, le monde ne se parle plus. Le conte est une belle manière de renouer avec la parole. Sobre, simple, dépouillée."

Porte-voix
Si la mouvance est indéniable, si l’auditoire s’élargit et développe une qualité d’écoute exemplaire, le conte ne rejoint pas encore le grand public – il est encore inusité d’inviter un conteur sur un plateau de télévision, sauf peut-être durant le temps des Fêtes, comme une curiosité. "La diffusion du conte est limitée, dans le bon comme dans le mauvais sens", remarque André Lemelin, qui rappelle que le spectacle de conte convient mal aux grandes scènes.

Au lendemain de son cabaret du conte annuel, présenté plus tôt cette année dans un Lion d’or bondé, l’éditeur a d’ailleurs décidé de repenser complètement la formule plutôt que de présenter la prochaine édition dans une salle plus grande. Il vient de fonder le festival Voix d’Amérique, une série de six cabarets dont la première édition aura lieu du 26 février au 3 mars 2002 à La Sala Rossa, boulevard Saint-Laurent.

Difficile de dire jusqu’où ira l’engouement, mais une chose est certaine: en quelques années, les conteurs ont sorti le conte des boules à mites et fait en sorte qu’il ne soit pas qu’un relent folklorique. Il ne serait d’ailleurs pas étonnant de voir d’autres éditeurs emboîter le pas à Planète rebelle, tant l’enthousiasme se vérifie.

Mais ne pressons pas les choses: le conte demeure, et tout son charme est là, un art qui ne se transmet vraiment que de bouche à oreille…