Pierrette Fleutiaux : Faits vécus
Livres

Pierrette Fleutiaux : Faits vécus

Son roman, Des phrases courtes, ma chérie, fait l’unanimité. Qu’est-ce qui se cache derrière ces phrases, justement? Nous avons interviewé l’auteure de ce très beau livre, lors de son récent passage à Montréal.

Elle est formidable, quand il s’agit de parler des livres qu’elle aime; de ceux qu’elle aurait aimé écrire ("Gatsby le magnifique, c’est sublime!"), ou de livres qui exploitent le même thème que son dernier à elle: le vieillissement, la maladie, la mort d’un parent. Comme le Renée Camp de Jean-Noël Pancrazi, ou Je ne suis pas sortie de ma nuit, d’Annie Ernaux, ou encore L’Adoration (Goncourt 1965), de Jacques Borel: "Des livres superbes, fouillés, spécifiques; alors que moi, au fond, c’est banal, ce que j’ai raconté." Fausse modestie? Sûrement pas. Pierrette Fleutiaux sait reconnaître la qualité du travail de romancier. Elle est en tout cas la première surprise de voir que Des phrases courtes, ma chérie, cette histoire qui n’est pas un roman, qui lui est si intime, si personnelle, touche à ce point les gens.

Toucher son public
C’est que ce récit autobiographique est le genre de livre que l’on tient à prêter à ses proches après l’avoir lu, que l’on veut partager. On se sent comme chez soi, dans cet espace intime, où l’auteur de Nous sommes éternels (prix Femina 1990) raconte les dernières années de la vie de sa mère, sa relation d’affection aussi profonde que tendue avec cette femme à l’amour dévorant. Pour Fleutiaux, Des phrases courtes, ma chérie, a "rencontré un courant. Pour un auteur comme moi, qui ne vend pas énormément, qui est un peu inclassable, c’est bizarre de croiser ainsi un fait de société. De voir que même les journaux féminins s’y intéressent. À mon âge, quoi! Je ne sais pas; j’aurais 30 ans, je parlerais de mes amours, ça me paraîtrait plus évident. Mais c’est aussi très agréable que les gens répondent ainsi".

À partir de cette histoire simple, Fleutiaux a fait un magnifique travail d’écrivain. Sa plume fine, rigoureuse, réussit à faire quelque chose d’universel. "Il a fallu que j’attende l’âge que j’ai, raconte Fleutiaux, et que ma mère ne soit plus là; je n’aurais pas pu le faire avant." S’est-elle sentie soulagée, une fois le livre terminé? "Je ne sais pas. J’ai toujours l’impression que ce n’est pas moi qui l’ai écrit, que ça s’est fait, comme ça. Et puis c’était quelque chose de différent, je ne savais pas comment donner vie à ce livre-là, je ne savais pas très bien où j’allais. J’avais toujours l’impression qu’il fallait que je me surveille. Comme si quelqu’un me regardait par derrière. Et si, en l’écrivant, je n’ai jamais pensé que ça pourrait aider qui que ce soit, de fait, aujourd’hui, je reçois des lettres: les gens vous racontent leur vie, d’autres vont un petit peu plus loin. Ce qui revient le plus souvent, c’est: "Ça m’aide, ça me cause un soulagement de ne pas être tout seul à vivre ça.""

À Paris, la critique a été unanimement élogieuse. Son roman a même été ajouté, in extremis, sur la liste des Goncourt, "une histoire marrante" que Fleutiaux ne s’explique toujours pas. "D’abord, je n’étais pas en lice du tout; en plus, ce n’était pas un roman, et c’était publié chez Actes Sud, qui n’a jamais de prix!" Comme on le sait, l’honneur est revenu à Jean-Christophe Rufin, et l’éternel débat au sujet des prix a recommencé dans les journaux parisiens: injustice, tractations, conflits d’intérêts. "Tous les ans, ça fait une histoire, soupire Fleutiaux. C’est que les jurés sont souvent des auteurs; ils ont un intérêt immédiat à ce que ça soit les auteurs de leur maison d’édition qui gagnent, c’est tellement évident, et tellement humain! Ce qu’il faudrait, ce sont des jury tournants."

Mais à 60 ans, même si elle en fait 10 de moins, Pierrette Fleutiaux en a vu d’autres. Un prix, ça fait vendre; mais le succès est très illusoire. En dehors des débats, elle doit travailler, le temps passe vite. "Mais enfin, l’ennemi, il est en nous! Et l’ennemi, c’est la paresse, le manque de force pour saisir le monde." Mais il faut aussi savoir attendre. "Pour écrire un livre, il faut trouver l’entrée. Ça peut être une phrase, qui vous saute à la figure. Ou une image. Un jour la porte s’ouvre, et tout sort. Entre-temps, il peut y avoir de ces trous!" Attendre et lire, beaucoup, toutes sortes de choses. Ses derniers coups de coeur? "J’en ai tout le temps! Les Yeux dans les arbres, de Barbara Kingsolver, Ce pas et le suivant, de Pierre Bergounioux. Quand j’ai l’esprit qui chute, j’ai besoin de lire des polars à l’américaine, ce que ma belle-fille appelle de la littérature de confort. Chez nous, on a lu presque tous les romans de Chrystine Brouillet, j’adore ses romans pour enfants; à mon dernier passage, j’en avais acheté une pleine valise!"

Si elle ne sait pas encore ce que sera le prochain livre, une idée forte fait son chemin. Depuis quelques mois, Pierrette Fleutiaux correspond avec une amie afghane. "Ce qu’elle m’a raconté, c’est vraiment terrible. Je ne sais pas ce que je peux faire de ces entretiens; j’ai envie d’en parler, mais je n’arrive pas à trouver la façon de le faire. Il faudra peut-être cinq ans pour introduire cette histoire dans autre chose. Je vais attendre." Et nous l’attendrons aussi, impatiemment.

Des phrases courtes, ma chérie
de Pierrette Fleutiaux
Éd. Actes Sud/Leméac, 2001, 222 pages