Hier : Nicole Brossard
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Hier : Nicole Brossard

Ambitieux projet que celui mené par Nicole Brossard dans Hier. La poète, essayiste et romancière y embrasse des thèmes transcendants tels la mémoire, le temps, les traces laissées par les personnes et les civilisations, les liens fondamentaux, mais peut-être étouffants, qui unissent mères et filles; et l’acte même de création.

Ambitieux projet que celui mené par Nicole Brossard dans Hier. La poète, essayiste et romancière y embrasse des thèmes transcendants tels la mémoire, le temps, les traces laissées par les personnes et les civilisations, les liens fondamentaux, mais peut-être étouffants, qui unissent mères et filles; et l’acte même de création. Ces réflexions entrelacées composent un singulier mais riche roman, à saveur plutôt philosophique et poétique.

Dans ce "roman de la femme" – le seul personnage masculin qui ne relève pas du souvenir ou de l’Histoire y est sacrifié à mi-parcours -, l’auteure du Désert mauve (l’Hexagone, 1987) met en scène quatre personnages féminins, dans ce qui n’est peut-être que la fiction de l’une d’entre elles. Chacune est inscrite dans le temps, portant en elle un hier à la fois personnel et historique.

Sis à Québec, Hier est hanté par la mémoire des civilisations passées, mais aussi par celle des êtres aimés que la mort a engloutis. Pour apprivoiser l’agonie de sa mère décédée, la Narratrice, une rédactrice qui écrit des notices pour illustrer des objets anciens exposés dans les musées, prend des notes. Et multiplie les conversations avec Carla, une auteure de la Saskatchewan habitée par la figure de son père d’origine suédoise.

Il y a aussi Simone, poursuivie par le double souvenir de Lorraine, sa fille disparue sans laisser de traces, et d’Alice, la femme aimée en secret; et sa petite-fille Axelle, qu’elle n’a pas vue depuis 15 ans.

La rencontre plus ou moins manquée entre les deux parentes cristallise le fossé des générations. Passionnée de ruines, Simone dirige le Musée de la civilisation. Adepte de raves, Axelle est chercheure en… bio-génétique. Chacune dans son temps. L’une dans la conservation du passé; l’autre dans le futur de l’Homme, et sa façon de vouloir manipuler la nature selon ses désirs égoïstes. Comment pourraient-elles se rejoindre?

Voilà un roman touffu, empruntant plusieurs niveaux et formes de narration: réflexion philosophique, poésie, et même une pièce de théâtre en dernière partie, qui déroule une conversation qui n’en est pas vraiment une, mais plutôt quatre discours convergents ou parallèles. Insérant au besoin un passage en latin (!), le livre intègre aussi une histoire que Carla écrit et qu’elle se jouait dans son enfance: le récit de la mort, à Stockholm, du philosophe Descartes, dont, franchement, le rôle dans l’ensemble du casse-tête romanesque m’a semblé obscur…

Le tout a des allures fragmentaires. Peut-être parce qu’écrire, c’est aussi faire des fouilles, comme l’auteure le fait dire à l’un de ses personnages, exposer "restes, débris et fragments d’un grand tout qui fut (…) une douleur si vive qu’il faut bien lui donner un sens".

Hier exige de la patience, et une certaine lenteur dans la lecture. De cette patience qu’on n’a peut-être plus aujourd’hui, dans un siècle où l’on est si pressés, "pressés comme des citrons, branchés sur du neuf toujours plus nouveau".

Certains partis pris peuvent agacer; plus d’un détour, nous perdre en chemin. Mais il y a dans Hier des phrases de pure beauté et des réflexions profondes sur aujourd’hui. Loin de la littérature-divertissement, Nicole Brossard nous rappelle que les livres sont d’abord des objets de conservation, à inscrire dans la durée. Éd. Québec Amérique, collection Mains libres, 2001, 360 p.