Victor-Lévy Beaulieu : Fruits de la passion
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Victor-Lévy Beaulieu : Fruits de la passion

Son oeuvre titanesque mais aussi son travail d’éditeur ont fait de VICTOR-LÉVY BEAULIEU un personnage incontournable de notre littérature. Rencontre avec le tout récent récipiendaire du prix Athanase-David.

Une trentaine de bouquins, une douzaine de pièces de théâtre, autant d’essais, nombre de téléromans dont les très populaires Montréal P.Q. et Bouscotte… En 35 ans d’écriture, Victor-Lévy Beaulieu a développé un univers foisonnant, arpentant inlassablement les territoires de l’imaginaire québécois. Et le prolifique écrivain ne s’est pas contenté de pondre une oeuvre d’exception, grâce à laquelle il vient de remporter le prestigieux prix Athanase-David. Sa passion des mots l’a toujours incité à jouer aussi les porte-voix pour la parole d’autrui.

À l’occasion du 25e anniversaire de VLB éditeur, il signe Les Mots des autres, un retour sur son parcours d’éditeur. "L’idée nous est venue au printemps dernier, dit-il, durant le Salon du livre de Québec. Je discutais avec Pierre Graveline [l’actuel directeur général de VLB] des activités qui allaient entourer l’anniversaire, puis nous nous sommes dit que je pourrais témoigner à ma façon de l’histoire récente de l’édition québécoise, du climat qui régnait dans les maisons d’édition à partir des années 60, cette période d’éveil littéraire."

L’épaule à la roue
Ses millions de mots à lui, ses innombrables personnages ne lui suffisent donc pas à circonscrire le monde. Ce monument de notre littérature ouvre encore les manuscrits de parfaits inconnus avec une curiosité intacte. "Ça vient peut-être d’une idée que j’ai, à savoir que le génie n’est pas individuel, mais collectif. Un écrivain, même seul dans son coin, participe d’un génie collectif. Peu d’auteurs l’admettent, mais c’est le collectif qui nous forme. À mon avis, on ne trouvera pas d’écrivains géniaux dans une société qui ne porte pas un certain génie", dira-t-il pour expliquer sa soif intarissable pour la création d’autrui et son désir de la relayer. Parce que l’éditeur, pour Victor-Lévy Beaulieu, participe au processus de création. "Pour moi, il s’agit vraiment d’ajouter sa part de création aux mots des autres."

Par exemple, quand il a publié l’adaptation de Macbeth par Michel Garneau (VLB éditeur, 1978), il a fait des recherches approfondies, en bibliothèque, pour connaître les règles de mise en pages appliquées à l’époque élisabéthaine. "C’est un fort beau texte, et en étudiant la typographie, les marges, le foliotage tels que réalisés du temps de Shakespeare, je voulais en faire un objet cohérent. J’ai transposé tout ça de façon moderne, mais en respectant, je crois, l’esprit de l’époque. Ça donne un très beau livre, une de mes fiertés comme éditeur."

Prompt à critiquer les rouages d’un milieu où l’on sacrifie souvent la beauté sur l’autel des critères commerciaux, l’écrivain oppose la tradition de l’artisan à la rigueur administrative des grandes maisons d’édition. Il en profite aussi pour critiquer les Salons du livre qui, autrefois lieux de découverte, seraient devenus de grandes foires commerciales. "Sans compter cette logique médiatique qui laisse dans l’ombre de quelques écrivains vedettes, souvent français, des auteurs qui mériteraient beaucoup plus d’attention."

édition illimitée
Depuis 1995, entre l’écriture de quelque nouveau téléroman et la culture de son potager, Victor-Lévy Beaulieu s’occupe amoureusement de ses Éditions Trois-Pistoles, petite maison qui publie, on s’en doute, sans compromis commerciaux. Il admet cependant faire survivre la maison grâce à ses cachets de téléromancier. "Je trouve ça un peu décourageant de constater qu’après toutes ces années, je suis encore au même point, qu’il est aussi difficile qu’il y a 30 ans de lancer une maison d’édition."

Pour se consoler, Victor-Lévy Beaulieu vient de publier un recueil de poésie (son tout premier) minuscule et fort joli, Vingt-sept petits poèmes pour jouer dans l’eau des mots. Il s’occupe aussi beaucoup de la collection "Écrire", qui donne à des auteurs l’occasion de se pencher sur le pourquoi et le comment de leur travail.

En énumérant tous les projets d’édition qu’il souhaite encore concrétiser, il souligne aussi l’importance de passer le flambeau. "Tout comme en politique, la relève, on ne s’en est guère occupé. Les principaux éditeurs québécois ont entre 55 et 65 ans. La plupart ont mal préparé la suite et vont sans doute vendre à de grandes sociétés, ou encore fermer leurs portes. Pendant ce temps-là, de jeunes éditeurs travaillent dans leur sous-sol, comme je l’ai fait, et le gros des subventions va à ceux qui en ont le moins besoin."

Victor-Lévy Beaulieu n’a pas fini de faire entendre sa voix. Par ses livres, ses choix éditoriaux, ses coups de gueule, il demeure l’un des principaux acteurs d’une littérature nationale encore et toujours à inventer.

Les Mots des autres
de Victor-Lévy Beaulieu
VLB éditeur
2001, 240 pages


Les Mots des autres
Les Mots des autres, c’est l’occasion pour Victor-Lévy Beaulieu de dire combien son imaginaire a été nourri et continue de l’être par les bouquins des autres, combien la confection d’un livre, depuis les corrections d’épreuves jusqu’aux choix typographiques, lui paraît complémentaire à l’écriture elle-même. L’auteur et éditeur y raconte ses premiers contacts avec la littérature, puis sa compréhension précoce de l’importance du travail éditorial, grâce entre autres à sa lecture de la correspondance entre Victor Hugo et son éditeur Jules Hetzel, dans laquelle l’immense écrivain fait preuve d’un souci quasi maniaque pour les différentes étapes de la fabrication du livre.

Dans ce texte truffé d’anecdotes, qui traduit tout son talent de conteur, Victor-Lévy Beaulieu retrace l’éveil et l’évolution du milieu éditorial québécois dont il fut, à partir des années 60, un témoin privilégié. Avec le franc-parler qu’on lui connaît, il donne plusieurs coups de chapeau, mais aussi quelques coups de griffes. Par exemple, il raconte dans le détail les circonstances qui ont mené à sa démission des Éditions du Jour, moins pour cause de divergences d’opinions politiques avec le futur sénateur Jacques Hébert, son patron, qu’en raison des cachotteries de ce dernier, qui redoutait la critique de son jeune directeur littéraire à l’endroit du manuscrit de tel ou tel copain de Trudeau.

Viendront la brève mais passionnante aventure des Éditions de l’Aurore, fondées en 1973 en compagnie de Léandre Bergeron et Guy Saint-Jean (en deux ans, la bande a publié près de 80 livres!), puis celle de VLB, maison fondée en 1975 et qu’il allait céder, 10 ans plus tard, à Jacques Lanctôt.

Éditeur dans l’âme, c’est aujourd’hui aux Éditions Trois-Pistoles que Victor-Lévy Beaulieu donne libre cours à sa passion pour les écrits d’autrui. "Je me suis fait demander je ne sais plus combien de fois: "Pourquoi tiens-tu tant que ça à te charger des mots des autres? Les tiens, pourtant nombreux, ne te suffisent-ils pas?" Immanquablement, j’ai répondu non, parce que les mots que j’écris ne m’aident pas toujours à vivre, n’apportent que rarement plus de beauté dans mon existence et répondent bien gauchement aux questions que je me pose", écrit-il.