René Lévesque, l’espoir et le chagrin : Les années de braise
Après avoir traité de l’enfance de René Lévesque à New Carlisle et de ses aventures journalistiques (René Lévesque, un enfant du siècle), puis de ses années au gouvernement Lesage (René Lévesque, héros malgré lui), le journaliste PIERRE GODIN s’attaque à ces quatre années charnières où l’ex-premier ministre est passé de la victoire électorale de 1976 à la défaite référendaire de 1980.
15 novembre 1976. Le jeune Parti québécois est porté au pouvoir. René Lévesque doit griffonner un discours, lui qui n’envisageait pas une aussi éclatante victoire. "Ça ne sera pas facile. Nous ne sommes pas prêts à exercer le pouvoir", affirme Lévesque ce soir-là en privé. De façon très rythmée, Pierre Godin raconte cette soirée qui s’est déroulée en crescendo et où Lévesque ne cessera de lâcher d’exclamatifs "ça se peut-tu!" à chaque comté arraché. Au Centre Paul-Sauvé à Montréal, il dira à ses partisans: "Nous ne sommes pas un petit peuple. Nous sommes peut-être quelque chose comme un grand peuple. Jamais dans ma vie je n’ai pensé que je pourrais être aussi fier d’être québécois." Une phrase qui sera maintes fois réutilisée par d’autres politiciens…
C’est une équipe qui n’a pas l’habitude du pouvoir qui se retrouve à gouverner le Québec. Dans son cabinet de ministres, Lévesque est le seul à avoir déjà fait partie d’un gouvernement. Mais même néophyte, cette équipe n’hésite pas à se lancer dans d’ambitieuses réformes. La Charte de la langue française, l’abolition de la caisse électorale secrète, le zonage agricole, l’étatisation de l’assurance-automobile, autant de batailles menées, que la plume du biographe fait revivre avec force détails et anecdotes.
Du nouveau dans l’affaire Morin
Le livre comporte de nombreux moments forts. Le récit du combat de coqs que se sont livrés Trudeau et Lévesque est particulièrement savoureux. Godin apporte également des éléments nouveaux à l’affaire Morin – où Claude Morin, alors ministre des Affaires intergouvernementales, reconnaît avoir collaboré avec la GRC – qui mine considérablement le moral du premier ministre. Le biographe raconte aussi l’épisode des Yvette que Lise Payette paiera cher. Mais il y a de plus ces clins d’oeil amusants aux costumes dépareillés de Lévesque; aux efforts de Gérard Pelletier, alors ambassadeur à Paris, qui s’efforce de barrer le chemin à son ami Lévesque, venu chercher une reconnaissance internationale pour son projet de souveraineté; au bulletin que Lévesque réservait à ses ministres.
Certains passages du livre laissent néanmoins perplexes. Est-ce René Lévesque qui parle ou son biographe? Sur les syndicats, par exemple, Godin écrit: "Chef d’un gouvernement pressé, il [Lévesque] refuse de s’engager sur le terrain des idéologies et des utopies, où les centrales [syndicales] se complaisent. Il veut des actions rapides et concrètes pour créer de l’emploi dans les pâtes et papiers, l’amiante, l’énergie, l’agro-alimentaire et le textile." Ou encore, quand il parle des étoiles montantes féminines du PQ de l’époque, les Louise Harel et Louise Beaudoin, toutes traitées de "pasionarias" et de "prima donna".
Ce troisième tome de la biographie de René Lévesque n’en demeure pas moins captivant. Et nul besoin d’avoir parcouru les ouvrages précédents pour apprécier celui-ci. Le récit de ces années de bouleversements se lit d’un trait, comme un roman, et permet de cerner le courage et les contradictions d’un homme pour lequel les Québécois se sont pris d’affection.
Le quatrième tome, qui devrait paraître l’an prochain, abordera les règlements de comptes de l’après-référendum et la dépression dans laquelle sombrera René Lévesque.
René Lévesque, l’espoir et le chagrin
de Pierre Godin
Éditions du Boréal
2001, 631 pages