Écriture, mémoires d’un métier : L’enfance de l’art
"Jamais personne ne nous interroge sur le langage, écrit Stephen King dans un premier avant-propos (il y en a trois!) à Écriture, mémoires d’un métier. Ce sont des questions qu’on pose aux DeLillo, aux Updike, aux Styron, pas aux romanciers populaires.
"Jamais personne ne nous interroge sur le langage, écrit Stephen King dans un premier avant-propos (il y en a trois!) à Écriture, mémoires d’un métier. Ce sont des questions qu’on pose aux DeLillo, aux Updike, aux Styron, pas aux romanciers populaires. Et pourtant, nous autres prolos, nous nous soucions de la langue que nous employons, même à notre humble échelle; nous avons la passion de l’art et la manière de raconter des histoires par le biais de l’écrit. Ce qui suit est une tentative pour décrire, brièvement et simplement, comment j’en suis venu à ce métier, ce que j’en sais à présent et comment on l’exerce. Ça parle boutique; ça parle langage."
La citation est un peu longuette, on s’en excuse. Mais elle donne tout à fait le ton de ce livre, à mi-chemin entre l’autobiographie et l’essai sur le métier d’écrivain, que tout fan de King dévorera avec un plaisir fou, mais qui plaira aussi aux romanciers en herbe, et à quiconque s’intéresse aux coulisses du métier. Ce n’est pas un livre de recettes (même s’il nous donne quelques ingrédients), ni l’un de ces how to dont les Américains sont friands (même si l’auteur nous suggère quelques exercices qu’il nous propose de lui envoyer sur son site Internet!). "Même entre écrivains, assure King, nous ne nous demandons jamais les uns aux autres où nous pêchons nos idées car nous savons que nous l’ignorons."
Dans la première partie du livre, intitulée C.V., l’auteur de Misery relate tout de même quelques scènes clés de son enfance, des personnages, des moments qui l’ont profondément marqué et qui expliquent peut-être son attirance pour le macabre. Le médecin, consulté pour une otite, qui lui infligera la pire des souffrances ("La douleur provoquée par cette aiguille me crevant le tympan fut indescriptible"); une "baby-sitter" complètement cinglée qui l’avait (entre autres!) gavé d’oeufs avant de l’enfermer dans un placard parce qu’il s’était mis à vomir; sa mère lui racontant qu’elle avait vu un jour un homme se jeter du toit d’un hôtel: "Il a giclé de partout (…) Le truc qui a giclé de lui était vert. Je ne l’ai jamais oublié" (ce à quoi King ajoutera: "Moi non plus, m’man"); ses problèmes de santé qui l’avaient contraint à manquer l’école presque toute une année, un congé forcé durant lequel il s’est gavé de bandes dessinées et a fait ses vrais débuts littéraires. "L’imitation précède la création, raconte King, je recopiais mot à mot Combat Casey dans mon cahier Blue Horse, y ajoutant parfois une description personnelle quand elle paraissait s’imposer." Un jour "Stevie" fit lire à sa mère "l’un de ces plagiats hybrides". Quand il lui avoua qu’il avait en partie copié son histoire sur celle d’une de ses B.D, sa mère lui lança: "Je parie que tu peux faire mieux. Inventes-en une toi-même."
"Je me souviens d’un fabuleux sentiment de possibilité à cette idée, comme si l’on venait de m’introduire dans un vaste bâtiment rempli de portes fermées en m’autorisant à ouvrir n’importe laquelle. Il y avait plus de portes à pousser qu’on ne pouvait en franchir au cours de toute une vie – voilà ce que je me dis, et voilà ce que je pense toujours."
La deuxième partie du livre, plus technique, mais non moins intéressante, s’adresse spécifiquement aux apprentis écrivains. King leur livre le contenu de son "coffre à outils", leur indique les pièges à éviter, exemples à l’appui.
Ce qui reste de cette lecture, c’est le plaisir d’écrire, d’inventer des histoires, de lire. Dans un post-scriptum où il raconte l’accident de voiture dont il a été victime, en 1999, et dont il subit toujours les séquelles, King conclut: "Écrire est magique, écrire est l’eau de la vie, au même titre que n’importe quel art. L’eau est gratuite. Alors buvez." Santé!
Écriture, mémoires d’un métier
de Stephen King
Traduit de l’américain par William Olivier Desmond
Albin Michel, 2001, 377 p.