Les Meurtrières de l'espoir / Au joli mois de mai : Impératif présent
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Les Meurtrières de l’espoir / Au joli mois de mai : Impératif présent

La récente fournée poétique nous a apporté un nouveau recueil de Denise Brassard ainsi que le tout premier d’Aline Apostolska. Pour mieux lire le présent et entrevoir l’avenir, toutes deux posent un regard lucide, souvent courageux, sur le  passé.

La récente fournée poétique nous a apporté un nouveau recueil de Denise Brassard ainsi que le tout premier d’Aline Apostolska. Pour mieux lire le présent et entrevoir l’avenir, toutes deux posent un regard lucide, souvent courageux, sur le passé.

En ne publiant que deux titres par année, la collection "Filigranes" des Éditions Trait d’union se veut très sélective. Les trois premiers n’avaient pas déçu, d’ailleurs, et le quatrième, coiffé d’un titre magnifique, assied davantage encore la crédibilité de la jeune collection dirigée par Stéphane Despatie. Les Meurtrières de l’espoir est à mon avis le plus achevé des livres de Denise Brassard.

Dans ce troisième recueil, à l’architecture exigeante, Brassard dégage les origines des plus intimes questionnements, des peurs et aspirations d’enfant portées tout au long de la vie, puis explore le vide à combler, au lendemain de déchirures intérieures, entre les corps pourtant si proches de deux amies ou amants.

Au fil des pages, des vers souvent très denses, longtemps mûris, seront peu à peu éclairés par les sections intitulées "Artefacts", écrites celles-là dans une prose souple, parfois proche du récit; une prose accordée à la pensée de l’enfant. L’alternance des modes permet à la poète de bien exprimer comment les premières intuitions se prolongent chez l’adulte; comment les premiers pas d’une fillette, par exemple, lui ouvrent déjà toutes les voies de la vie. "Sa tête la projette en avant. Chaque brin d’herbe, chaque feuille l’aspire, l’emporte vers. Au bout de la course, nuls bras ne désignent les limites de son corps. Que ce regard au loin, invisible."

Tout comme dans les photographies du cinéaste Pierre Bastien, qui accompagnent les poèmes, deux fillettes échangent des secrets et découvrent dans le jeu l’essentiel des gestes du vivant.

Aline Apostolka présente elle aussi un recueil très articulé, organisé en quatre "mouvements" évoquant les quatre saisons, qui marie avec un bonheur inégal prose, journal très intime en vers, transposition des figures de la mythologie grecque dans le témoignage d’amours vécues… En fait, Au joli mois de mai naît des préoccupations d’une femme qui, au seuil de la quarantaine, revisite les territoires de l’enfance et des émotions passées, interrogeant sous des angles divers les apparences du bonheur et le caractère essentiel mais évanescent des promesses échangées entre les êtres.

Il faut traverser la première partie, faite souvent d’impressions ou de petits croquis du quotidien – parfois fades, entre nous – pour goûter la prose débridée du deuxième mouvement, farcie de références mythologiques et de passages érotiques dignes des divines orgies de l’Olympe. Dans cette section et les suivantes, Apostolska montre combien l’équilibre dépend de l’agencement des contraires, de l’accord difficile entre les sentiments de désir et de repli attisés par la passion.

Le recueil repose par ailleurs sur la mise en relief de la distance entre elle et sa mère, née à l’autre bout du calendrier (l’auteure est née un 2 mai; sa mère, un 2 novembre). "Ma mère née le jour des Morts a mis au monde une fille le jour du retour à la vie. Il faut quarante heures pour accoucher d’un être humain. Quarante ans pour naître à soi-même."

Les poèmes d’Aline Apostolska, dont on connaît déjà les très beaux contes, pourraient emprunter moins de détours pour exprimer les turbulences du coeur, mais ils désignent d’une voix singulière les seules réalités incontournables de l’existence (l’amour, la mort) et le courage qu’il faut pour embrasser une vie dans son intégralité; elle ira d’ailleurs jusqu’à paraphraser Miron: "Dans trois mois / mon linceul deviendra nageoire. (…) / Je dirai oui à ma naissance."

Les Meurtrières de l’espoir
de Denise Brassard
Éd. Trait d’union
2001, 124 p.

Au joli mois de mai
d’Aline Apostolska
VLB éditeur
2001, 128 p.