L'Intime : Guy Demers
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L’Intime : Guy Demers

L’écrivain français Henri Michaux qui, comme certains autres de ses célèbres compatriotes et confrères, aimait bien se geler la bine pour écrire…

L’écrivain français Henri Michaux qui, comme certains autres de ses célèbres compatriotes et confrères, aimait bien se geler la bine pour écrire, a jadis pondu une nouvelle dans laquelle il raconte, avec cette passion du détail qui nous vient en moments d’exaltation canabisienne, comment il s’est un jour cassé le bras droit ("Bras cassé", dans Face à ce qui se dérobe, Gallimard, 1975). Soixante pages racontant sa chute, sa douleur, les soins qu’on lui prodigue, puis sa vie quotidienne d’"handicapé" mi-embêté mi-fasciné (on n’est pas intellectuel pour rien) par son état. Histoire qui part d’un incident somme toute assez banal – une luxation du bras droit -, et qui devient tout un plat parce que voilà l’écrivain forcé d’écrire de la main gauche, et donc forcé aussi de regarder de plus près, ou en tout cas différemment que d’ordinaire, son travail de création.

Guy Demers commence sensiblement de la même manière son nouveau roman, L’Intime, lequel montre un homme en train de gravir l’escalier le conduisant à son nouvel appart, et qui, devant l’avertissement inscrit sur une marche que "Ceci n’est pas une marche", est si naïvement content d’avoir reconnu là l’esprit de Magritte qu’il y met le pied, plus penseur que méfiant, et voit sa jambe défoncer le plancher, laissant son pied affligé d’une luxation du lysfranc.

Demers mène tellement rondement sa description de l’accident puis le séjour que fait son éclopé à l’hôpital que le lecteur pourrait s’attendre (espérer?) que cela continue de la même façon. Mais non, misère: haro sur le premier degré. Dès que le blessé, qui s’appelle Lewis Franc (on aurait dû le voir venir…), en a l’occasion, il abandonne la radiographie de son lysfranc pour nous convier à l’exploration, autrement plus complexe, de son imagination.

On aime ou on n’aime pas ce genre de développement, toujours forcément un peu sibyllin.

Lewis se mettra d’abord à greffer une histoire inventée sur le personnage, par trop doucereux à son goût, qui vient lui servir les repas à l’hôpital. Les mauvais sentiments faisant plus souvent que leur contraire, il est vrai, des romans intéressants, Lewis prétexte son inconfort devant les marques attentionnées du préposé, inconfort qui se transforme d’ailleurs instantanément en haine, pour décider de faire souffrir par l’imagination celui qu’il baptise RRRRRRRRalp Alph Alph. Lewis lui donnera tout de même une amoureuse, qu’il nomme Lison (lisons, ça aussi on aurait dû le voir venir), puis une psychiatre résolument déglinguée, et il l’enfermera ensuite dans un réduit avec une plume, pour que le méchant homme crée à son tour un personnage, etc.

Guy Demers a heureusement un style et un humour qui permettent à ceux d’entre nous qui ne tirent pas une gloire particulière à être vite sur le piton de le suivre avec un plaisir certain. Et un fond de bons sentiments (le roman se clôt d’ailleurs sur les mots "Il faut aimer", ceux-là même qui terminaient La Vie devant soi; du reste, on se demande bien pourquoi Demers les a empruntés) qui laisse espérer un peu moins de froideur pour la prochaine fois. Xyz éditeur, 2001, 202 p.