Le Sourire d’Anton ou l’adieu au roman : André Major
Ça ne pouvait mieux tomber. Alors qu’on en est à examiner l’héritage légué par la flambée nationaliste du 15 novembre 76, un petit ouvrage né de la plume de l’écrivain André Major nous replonge en ces temps de célébration tous azimuts de l’identité québécoise.
Ça ne pouvait mieux tomber. Alors qu’on en est à examiner l’héritage légué par la flambée nationaliste du 15 novembre 76, un petit ouvrage né de la plume de l’écrivain André Major nous replonge en ces temps de célébration tous azimuts de l’identité québécoise. Mais célébration n’est peut-être pas ici le terme approprié…
Le Sourire d’Anton ou l’adieu au roman est un extrait du journal que tient Major depuis de nombreuses années, et pour lequel on lui a décerné le Prix de la revue Études françaises 2001 (prix décerné tous les deux ans afin de souligner la "contribution d’un auteur important à la réflexion sur la littérature et sur l’écriture de langue française dans le contexte de la culture contemporaine").
Divisé en cinq parties, qui couvrent les années 1975 à 1992, ce recueil de pensées, d’anecdotes et d’interrogations nous montre un homme luttant constamment pour sa liberté de créateur, refusant d’épouser la pensée commune, et souffrant bien sûr de la solitude à laquelle le confine son serment d’autonomie intellectuelle. Fallait-il, afin de prouver son attachement au Québec, cracher sur tout le reste? Major ne souscrit certainement pas à cette espèce de commandement répandu dans la famille des littéraires lorsqu’il accepte, en juin 77, le Prix du Gouverneur général (pour Les Rescapés). D’aucuns lui reprocheront ce geste. Il en est peiné, sans doute (quelques jours plus tard, se brûlant de la tête aux pieds, il se demande si cet "accident n’est pas un acte manqué, une expiation pour le Prix du Gouverneur général").
"J’aurais pu poursuivre dans la voie toute tracée en essayant d’être un honnête écrivain provincial qui chante le quartier où il est né ou la campagne où il a compris de quel bois il était fait. J’aurais pu. J’ai préféré emprunter une autre voie, plus déroutante sans doute puisque la plupart de mes lecteurs ont renoncé à me suivre." Major est ainsi fait. C’est en français qu’il parle, non en québécois. Ses cousins sont d’abord originaires de France avant de venir d’Amérique. Son peu de culture l’exaspère (imaginez celle des autres). Et s’il n’a rien à dire, il se taira. C’est ainsi qu’à la fin des années 80, Major (qui a été réalisateur d’émissions culturelles à Radio-Canada, de 1973 à 1997) choisissait de ne plus être "un écrivain pratiquant": décision dont on sent bien dans le journal avec quelle lancinante progression elle a fini par s’imposer à l’auteur. Heureusement, on sait aujourd’hui que cet adieu au roman n’aura pas été d’éternelle durée, Major ayant fait suivre L’Hiver au coeur (1987) par le très beau roman La Vie provisoire, en 1995.
Étranger à la confrérie des écrivains chantant sempiternellement le Québec en québécois, Major aura trouvé consolation dans l’oeuvre d’Anton Tchekhov (d’où le titre), dont il célèbre le "refus de pactiser avec quelque faction idéologique que ce soit".
Mais par-delà ses inimitiés avec la confrérie québécoise, Major montre plus certainement, à travers ce journal, le sentiment intrinsèque de solitude qui est le sien. Et en cela, il touche chaque être humain. Presses de l’Université de Montréal, 2001, 207 p.