Rural! (Chronique d’une collision politique) : Étienne Davodeau
Du documentaire en bande dessinée? C’est ce que nous propose le Français Étienne Davodeau avec son album Rural!, récipiendaire du prix Bédélys Découverte au dernier Salon du livre de Montréal.
Du documentaire en bande dessinée? C’est ce que nous propose le Français Étienne Davodeau avec son album Rural!, récipiendaire du prix Bédélys Découverte au dernier Salon du livre de Montréal.
Étienne Davodeau a passé une année dans la région du Maine-et-Loire à observer la vie de trois jeunes agriculteurs, Jean-Claude, Étienne et Olivier, copropriétaires d’un G.A.E.C. (groupement agricole d’exploitation en commun). La structure de l’album qui en a résulté suit les étapes de la production laitière sur une année complète, illustrant les réussites et les difficultés quotidiennes, mais surtout les diverses tâches de ceux que les Français appellent toujours des "paysans". Il retrace également l’histoire de cette exploitation particulière et de sa conversion au biologique.
Les thèmes abordés sont multiples: de la question de l’épuisement des terres par les exploitations conventionnelles à l’adhésion à la Confédération paysanne, dont le porte-parole est le flamboyant José Bové (qui signe la préface de l’album), en passant par les inquiétudes face à l’intégration au marché commun européen. Tout ça dans un style simple, les paroles rapportées des personnages alternant avec la narration de l’auteur qui se représente fréquemment dans son reportage en interaction avec les paysans. Cette espèce de dialogue, dont le ton est tour à tour objectif, dramatique et humoristique, fait ressortir l’humanité des intervenants.
S’interrogeant sur le rôle pas toujours clair de l’agriculture biologique, l’auteur, arguant qu’il n’est pas encore prouvé qu’elle soit meilleure pour la santé, se fait répondre par un de ses personnages: "Le but de notre travail, c’est d’abord de trouver une façon de produire de la nourriture pour tous sans nuire à la terre. On cherche une technique que les générations suivantes d’agriculteurs pourront utiliser sans problème de durée. Acheter et manger bio ne devrait pas être une démarche de précaution individuelle, mais c’est soutenir une idée d’inspiration collective sur le long terme. Et si vous mangez tous bio, nous produirons tous bio. Et là, vous vivrez dans un environnement réellement meilleur pour votre santé."
La vie paysanne n’étant pas de tout repos, une part importante de l’album est également consacrée à la bataille (perdue) du trio contre le projet de construction d’une autoroute, la A-87, qui divise en deux leur exploitation. Autoroute au tracé curieusement sinueux, dont on comprendra qu’il a été influencé par les puissants propriétaires viticoles de la région pour le faire passer loin de chez eux. Autour de ce projet d’autoroute gravitent des personnages secondaires intéressants, tel cet archéologue chargé des fouilles réglementaires avant le début des travaux et qui nous renseigne sur l’histoire paysanne des lieux, remontant à l’Antiquité. Plusieurs planches sont aussi consacrées à la sombre histoire de Philippe et de Catherine, propriétaires d’une maison au patrimoine historique évident qu’ils ont passé 10 ans à restaurer et qui finit par céder sa place à l’autoroute.
En noir et blanc, avec dégradés de gris, Rural! est finement dessiné et son aspect journalistique, bien rendu par les divers cadrages qui nous font voir la terre de plusieurs points de vue. Dans son avant-propos, Étienne Davodeau se dit convaincu de l’avantage de la B.D. dans le domaine documentaire: "Là où la vidéo supporterait mal la cohabitation entre du vrai reportage et de pesantes reconstitutions avec comédiens, sa légèreté technique, la distance qu’elle impose à son sujet permettent sans effort à la bande dessinée d’unir ces scènes intégralement recomposées à celles dessinées de visu."
Dans son cas, c’est avec une magistrale efficacité que le neuvième art fait concurrence au septième. Delcourt, collection "Encrages", 2001, 142 p.