Troublant : Hugues Corriveau
Le vingt et unième titre d’Hugues Corriveau réjouira ses lecteurs autant qu’il renforcera l’argumentaire de ses détracteurs. On ne peut plus formaliste, Troublant relève du défi littéraire, celui d’écrire cent histoires de deux pages exprimant, à partir de menus matériaux, autant de moments de crise, de rupture.
Le vingt et unième titre d’Hugues Corriveau réjouira ses lecteurs autant qu’il renforcera l’argumentaire de ses détracteurs. On ne peut plus formaliste, Troublant relève du défi littéraire, celui d’écrire cent histoires de deux pages exprimant, à partir de menus matériaux, autant de moments de crise, de rupture. Si le résultat étonne souvent plus qu’il n’émeut, l’auteur ne s’en défendra pas, lui qui a déjà dit: "Écrire est pour moi un événement d’écriture d’abord et avant tout; partisan de cette perspective, j’accorde la priorité absolue au style."
Classées en cinq parties, ou thématiques, les historiettes sont traversées par un même fil, celui de l’angoisse, celle qui engendre la mue, le passage. Hugues Corriveau s’attarde au point de non-retour, à ce mot échappé qui rompt l’accord parfait mais factice d’un couple; à l’imprévu qui transforme un voyage à l’étranger en avancée vers des vérités intérieures. Par exemple, cet homme un peu hagard qui a l’impression que le chauffeur d’un autobus le fait descendre en un lieu inconnu, peut-être en marge de la réalité, accepte soudain la perte de ses repères. "Bien qu’en pure logique il devrait revenir sur ses pas, il va dans le sens de sa peur."
Toujours, la chute déconcerte. Dans un contexte qui pourrait être banal, un élément se détraque, un glissement survient. Le lecteur, qui au départ a du mal à percevoir le vivant dans ces charpentes minimalistes, trouve peu à peu des outils, se découvre des aptitudes à prolonger la piste ébauchée. Au détour de la cinquième partie, "Pensée du voyage", il ne sera pas étonné de tomber sur le titre Comme dans un film de Duras – elle aussi cultivait savamment l’imprécision. Deux êtres y arpentent un Paris vaporeux, révélés l’un à l’autre dans leurs réactions à l’environnement modulé par la pluie. Chaque personnage réagissant différemment à l’inusité, une même impression de déséquilibre fera dire à un personnage, plus loin: "Enfin le danger!"
Dans cet exercice de style dont le sentiment est pourtant le matériau premier, Hugues Corriveau prend un certain plaisir à montrer les ficelles, de sorte que nous puissions en tirer quelques-unes avec lui, sans doute. Il prend surtout plaisir à déjouer le quotidien et ouvrir des voies singulières. Tout cela fait de Troublant un étonnant laboratoire littéraire régi par une intelligence féroce et une imagination sans bornes. Pour lecteur consentant.
Éd. Québec Amérique, 2001, 232 p.