Le Paradis des chevaux : Course à obstacles
Roman massif comme l’auteure les pratique d’usage, grouillant d’intrigues et de personnages, Le Paradis des chevaux ravira forcément les lecteurs passionnés de la chose chevaline et plus particulièrement des courses de chevaux.
Elle a donné dans le roman épique (The Greenlanders, 1988), la tragédie (A Thousand Acres, 1992), la comédie (Moo, 1995), le polar (Duplicate Keys, 1984) et l’histoire sentimentale (The All-True Travels and Adventures of Lidie Newton, 1998); et en attendant de lire le prochain roman de Jane Smiley, qui sera consacré cette fois au thème chouchou du nouveau millénaire (le sexe, of course), on la retrouve pour son dixième titre entre les paddocks, les remorques, les écuries, les stalles de départ, et les gradins des hippodromes d’Amérique du Nord et d’Europe. Roman massif comme l’auteure les pratique d’usage, grouillant d’intrigues et de personnages, Le Paradis des chevaux ravira forcément les lecteurs passionnés de la chose chevaline et plus particulièrement des courses de chevaux. Quant aux autres, il vaudra mieux afin de ne pas mourir d’ennui qu’ils se découvrent au fil des pages une fascination pour les coulisses du monde équestre.
Un peu comme elle l’avait fait avec un autre de ses romans bestiaux (Moo), où l’histoire d’un cochon de 700 livres écroué dans une université devenait le prétexte à une farce sur le milieu professoral (qu’elle connaît bien), Jane Smiley profite de son incursion dans les systèmes hiérarchiques humains (mari-femme, maîtresse-chien, proprio-entraîneur, etc.) pour livrer tout ce qu’elle sait en matière équine. Possédant elle-même 18 chevaux, dont plusieurs honorables coureurs, Smiley connaît son affaire. On devine d’ailleurs par les discours qu’elle fait tenir à tout un chacun ici qu’il suffit d’un cheval dans les parages pour illuminer sa journée. "Huit ou neuf fois par jour, jour après jour, des hommes et des chevaux vont s’aligner, ils se mettent à courir et sans avoir le temps de dire ouf, on est en plein mystère. Quel cheval souffre d’une fêlure, quel cheval voit un truc bizarre, quel cheval se sent en grande forme, quel jockey en bouscule un autre… (…) Une journée aux courses c’est mille histoires, et en plus il y a le gazon, les arbres, une petite brise, les collines à l’horizon."
Le Paradis des chevaux consiste de fait en une série de petites histoires, à travers lesquelles on rencontre des propriétaires, des entraîneurs et leurs adjoints, des cavaliers d’exercice, des lads, des responsables des soins (jusqu’à une psy qui parle cheval) et des jockeys, sans compter plusieurs chevaux qui portent les noms de Residual, Epic Steam, P’tit Bob, Gossey Lucy, pour ne nommer que ceux-là, qui ont une personnalité et des habitudes bien à eux.
On passe bien une bonne partie du roman à se demander où tous les sauts de puce entre les lieux, les chevaux, les personnages et les intrigues nous mèneront, avant qu’il n’apparaisse évident que l’esthétique du roman tient justement dans cette espèce de course à obstacles, simple et compliquée tout à la fois, où se combinent les gestes rituels et les accidents de la vie. Un cheval est pansé à heure fixe, il finit toujours bon dernier depuis cinq ans, et puis un jour il gagne. Un homme n’a jamais dit à son épouse qu’il l’aimait, et voilà qu’un jour ça le frappe de plein fouet: il l’aime. Allez savoir. Une démonstration en 600 pages des saloperies et des beautés de la vie.
Le Paradis des chevaux
de Jane Smiley
Traduit de l’anglais par Virginie Buhl
Rivages, 2001, 610 p.