Monique LaRue : À bonne école
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Monique LaRue : À bonne école

S’inspirant de son expérience d’enseignante au niveau collégial, MONIQUE LARUE pose avec humour la question de l’enseignement de la littérature. Son nouveau roman, La Gloire de Cassiodore, est une fresque aussi colorée que  pertinente.

Elle est, comme tant de ses collègues écrivains, une espèce d’agent double des lettres. Elle enseigne la littérature depuis plus de 25 ans, et elle fait de la littérature depuis presque aussi longtemps (La Cohorte fictive, son premier roman, paraissait en 1979 aux éditions L’Étincelle). Et si elle n’a pas étudié les lettres dans le but d’enseigner, dira-t-elle franchement, elle a tout de même appris à aimer ce métier "à travers l’expérience des classes", malgré tout: les éternelles réformes, les conditions de travail parfois très dures, l’absurde défi de couvrir des siècles de littérature, de Rabelais à Camus, en quelques mois. Malgré tout, donc, pour Monique LaRue, "chaque année est une renaissance, chaque début est plein d’espoir, chaque nouveau groupe est un suspense. Vous savez, j’aimais l’école quand j’étais jeune, dira-t-elle; je l’aime encore".

L’auteure de Copies conformes (Denoël/Laffont) a fait du collège et de l’enseignement de la littérature la toile de fond et le sujet de son dernier roman, La Gloire de Cassiodore, une fresque bigarrée qui dépeint dans le détail cette microsociété qu’est un collège (elle ne dira jamais "cégep", un mot qu’elle ne trouve "pas très beau"), et qui pose avec talent, intelligence et humour l’essentielle question de l’enseignement de la littérature.

"À la base de ce roman, raconte l’auteure, il y avait bien sûr mon métier d’enseignante, le besoin de trouver un sens à ce travail, mais aussi une certaine indignation face à l’ignorance, à l’indifférence générale pour ce niveau d’enseignement qu’est le collégial. Pourtant, pour bien des gens, le collège est la fin de l’éducation, et le cours de littérature obligatoire, leur dernier contact avec la culture. Pour d’autres, c’est un passage très important, un carrefour primordial, c’est souvent là que les choses tournent."

Dans le collège qu’elle a imaginé, "un collège au milieu d’une grande ville", nous allons donc vivre toute une année scolaire, de la mi-août au mois de mai, au sein du département de littérature. En compagnie de deux personnages centraux: Garneau, qui enseigne les classiques ("De Rabelais à Laclos avant Noël, de Hugo à Camus après Noël. De l’espoir au désespoir, de l’humanisme à l’absurde") et qui écrit, dans le bulletin syndical, des chroniques percutantes sous le pseudonyme de Cassiodore le jeune; et Pétula Cabana, professeure de création littéraire, auteure d’une auto-fiction primée, psychologiquement instable et farouchement contre l’enseignement des classiques. Deux personnages qui représentent bien les visages du professeur et de l’écrivain. "Garneau est très engagé dans son travail, commente l’auteur, il est autonome, il ne croit pas qu’il soit nécessaire d’être écrivain; alors que Pétula représente la part artiste de l’enseignant, elle a besoin d’être autre chose que prof."

Autour de Garneau et de Pétula évolue une galerie de personnages colorés, drôles ou pathétiques, des torturés, des optimistes, des déprimés, de la linguiste qui cherche à redevenir elle-même à la poète qui étale sa vie privée, du prof élitiste, sévère, détesté par ses élèves aux férus de psychanalyse, en passant par l’administrateur, la secrétaire, le directeur des ressources humaines; et bien sûr les élèves, dont quelques têtes fortes, et d’autres, issus de l’écrin des écoles privées alternatives, aujourd’hui sous-équipés pour affronter leur nouvelle réalité, qui ne passeront pas l’épreuve du passage à l’âge adulte.

Alors qu’à la parution de La Démarche du crabe, Monique LaRue nous confiait qu’écrire n’était pas tout à fait une partie de plaisir, cette fois-ci elle avoue s’être souvent amusée. Les intrigues amoureuses entre collègues, les rancoeurs et les petites jalousies, les éternelles guerres intestines ("Anticlassiques contre classiques. Salle commune contre couloir. Lecture-plaisir contre pensum"), les débats houleux sur le rôle de l’enseignant, les fins de l’enseignement, l’utilité d’enseigner la littérature, les cocktails du syndicat, les comités, les émissions littéraires: tout est décrit avec une fine ironie, un sourire en coin, de la tendresse entre les mots.

Bien sûr, l’auteure a puisé dans sa propre expérience pour écrire son roman. "C’est un peu le fruit de mes observations, dit-elle, mais ce n’est pas la réalité, c’est une oeuvre d’imagination. J’ai mis beaucoup de temps à décomposer, puis à soigneusement recomposer mes personnages jusqu’à ce qu’ils aient une vie autonome, et jusqu’à ce que j’arrive à prendre de la distance, à voir les choses avec un certain humour."

Si on s’amuse bien à lire dans les coeurs de ses personnages, à surprendre leurs contradictions, à vivre leurs questionnements, ce qui nous reste de cette lecture fait tout de même drôlement réfléchir. Le tableau que peint LaRue a ses recoins noirs. Les élèves que l’on croise ne savent pas écrire, ont perdu la notion de ce qu’est une faute d’orthographe, et pour Monique LaRue, "la langue est un code, et chaque fois qu’elle est touchée, tout le système est touché. Sans la langue, on ne peut pas comprendre le monde".

À l’arrivée, c’est toute la question de l’enseignement, en général ("le seul véritable sujet politique", dira un personnage), qui est soulevée dans La Gloire de Cassiodore. "On tape volontiers sur les professeurs, commente LaRue, on jalouse leurs deux mois de congé, on les rend responsables de tous les maux. Il y a derrière ça l’idée de clientélisme, de l’élève-client qui a toujours raison. Les professeurs se plaignent de l’impolitesse des élèves, ils vivent les effets de l’éclatement familial, mais tout est lié, l’école est une cellule greffée à la société, c’est une cellule reproductrice, et tout le monde, toute la société est concernée par la question de l’enseignement."

La Gloire de Cassiodore
de Monique LaRue
Boréal, 2002, 296 p.


Extrait de La Gloire de Cassiodore

"On lunchait, on discutait, on examinait les données objectives et vertigineuses que révélait l’enquête menée par la commission. Quatre-vingt-dix pour cent des élèves interrogés ne connaissent pas le sens des mots chemin de croix. Quatre-vingts pour cent des personnes interrogées ne peuvent associer correctement Moïse, Jésus de Nazareth et Mahomet aux grandes religions correspondantes. Les expressions échelle de Jacob, pauvre comme Job ne suscitent aucun sens. Séisme sémantique. Mutation des référents. Quarante pour cent des personnes interrogées savent décoder un énoncé manifestement ironique. Vingt pour cent des mêmes personnes soupçonnent le deuxième sens d’une hyperbole ironique sans pouvoir l’expliquer. Qui donc, tonnait Néron, enseigne à ces crétins? Que font nos enseignants, pour l’amour? Sommes-nous les survivants d’une espèce en voie de disparition?"

La Gloire de Cassiodore
La Gloire de Cassiodore
Monique LaRue