Poésies complètes de Sylvain Garneau / Garder le feu : Souffler sur des braises
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Poésies complètes de Sylvain Garneau / Garder le feu : Souffler sur des braises

La littérature est une vieille dame qui oublie. Aussi faut-il saluer l’initiative de Claude Beausoleil et des Herbes rouges, où il dirige la collection "Five o’clock", pour avoir tiré des oubliettes l’un de nos poètes aussi séduisant que méconnu, Sylvain Garneau.

La littérature est une vieille dame qui oublie. Aussi faut-il saluer l’initiative de Claude Beausoleil et des Herbes rouges, où il dirige la collection "Five o’clock", pour avoir tiré des oubliettes l’un de nos poètes aussi séduisant que méconnu, Sylvain Garneau.

Mort en 1953, à l’âge de 23 ans, Sylvain Garneau avait eu le temps de publier deux recueils, Objets trouvés (1951) et Les Trouble-fête (1952). Alors que d’autres ouvraient les voies de la modernité québécoise en poésie (Roland Giguère, Gaston Miron), lui préférait encore les formes du passé. Il le faisait néanmoins avec tant de maîtrise qu’un Alain Grandbois sous le charme allait préfacer son premier livre. À travers sonnets et chansons d’une rigueur formelle toute classique, l’auteur en herbe faisait preuve, en effet, de grande assurance et d’un indéniable sens de la chute. Sa poésie, habitée de rêveries au "je" mais aussi de personnages souvent en marge de la société (immigrés, sans-abri), respire la légèreté volontaire de celui qui voit la vie d’un oeil grave. Il déplore entre autres le peu de crédibilité accordée à l’artiste: "Et tu seras le fou de dix rois gros et gras / Et tu seras jongleur, poète ou chorégraphe… / Un jour, ton petit-fils sur ta tombe liras: / "Ci-gît le fou du roi" comme seule épitaphe."

Dans son excellente préface à la nouvelle édition, Serge Patrice Thibodeau souligne la contemporanéité de Sylvain Garneau. Il parle du fond et non de la forme, bien entendu, ses tableaux urbains sillonnés de tramways, mettant en scène des exclus, évoquant parfois le Montréal actuel. Mais c’est par son talent brut et l’étonnant équilibre d’un univers à cheval sur le réel et l’imaginaire que Garneau séduit encore le lecteur d’aujourd’hui, qui aurait aimé suivre l’évolution d’un auteur aussi doué, disparu trop tôt – la version officielle, pudique, attribue sa mort à une blessure à la tête infligée avec son fusil de chasse…

Jeune poète bien vivant et très actif dans le milieu (il est l’un des fondateurs du site poésie-québécoise.org), Stéphane Despatie publiait récemment Garder le feu, son cinquième recueil. Respectant une forme stricte, il présente 72 poèmes de huit vers divisés en deux strophes (excepté le tout dernier, comme pour nous laisser en suspens), articulés autour d’un "tu" complexe, qui semble être à la fois le "tu" amoureux, condition au renouvellement du feu intérieur, et la lumière espérée, ou la vie elle-même.

Dans ces textes brefs mais denses, le poète isole et décrit le réflexe, ou la flamme qui incite à se lever, à marcher malgré un passé qui pèse; la flamme qui module les noirceurs du coeur et du monde. Il montre ensuite les failles du poète parvenu au zénith de l’amour, ou encore de l’écriture, aveuglé soudain par cet éclat qu’il a tant cherché ("maintenant tamisons les lumières pour supporter l’aboutissement"). Des instants de ravissement traversent, comme des étoiles filantes, un espace plutôt sombre. La lumière est vive, presque intolérable, quand "un maudit espoir hurle nu sa naissance".

Despatie signe un recueil riche, peut-être son plus inspiré. La syntaxe, très étudiée, y sertit des images fortes, tantôt porteuses de spleen, tantôt d’un érotisme suave.

Sylvain Garneau, poésies complètes
Les Herbes rouges
2001, 200 p.

Garder le feu, de Stéphane Despatie
Planète rebelle
2001, 80 p.

Sylvain Garneau, poésies complètes
Sylvain Garneau, poésies complètes
Claude Beausoleil